Accueil > Editoriaux / Opinion > Editorial, opinion, point de vue, déclaration, paix, pertinente, monde, (...) > débats, contribution, avis, citoyen, société, vie publique, analyse, (...) > Pour François Burgat, l’islamisme est une "régression féconde"

qrcode:http://www.argotheme.com/organecyberpresse/spip.php?article582 TRADUIRE cette page :
Pour François Burgat, l’islamisme est une "régression féconde"

mercredi 31 mars 2010, par Hakim Arabdiou

Les travaux du politologue français, François Burgat, constituent pour l’essentiel une tentative de « théoriser » et de rendre attrayante l’idéologie réactionnaire et capitaliste des islamistes, qui représentent la plus virulente des forces politiques au service des féodaux et de certaines fractions de la bourgeoisie musulmane, notamment compradore.

Précisions d’emblée que notre politologue, pour prévenir d’éventuelles objections, et outre ses nombreuses confusions et amalgames dans le lexique et les périodes, parsème ses textes de tours de passe-passe sémantiques, qu’il pourrait exciper par un : « J’ai pourtant bien précisé que... ».

Les islamistes seraient les vecteurs de la modernité du « Nord » « judéo-chrétiens » dans le monde musulman et parmi les minorités musulmanes d’Occident

Cet universitaire semble « découvrir », des décennies, après la gauche arabe et celle des pays musulmans, la nature foncièrement politique et non religieuse des mouvements islamistes. De plus, selon lui, ces derniers lutteraient pour introduire dans les pays musulmans, les valeurs du « Nord » judéo-chrétiens, telle que la « démocratie, la laïcité, les droits de l’homme... ».

On reste interloqué par une telle assertion, lorsque l’on sait- et Burgat, plus que tout autre- que les principaux doctrinaires de toute la mouvance islamiste dans le monde, ne sont autres que Mohammed ibn Abdelwahab, Ibn Taymia, El Mawdoudi, Qichq, Qotb..., c’est-à-dire les auteurs des interprétations les plus réactionnaires de l’islam.

Autre élément : le farouche combat des islamistes contre ces valeurs, combat mené, soit ouvertement, soit sournoisement, selon que le rapport de forces soit en leur faveur ou non. Eh bien non ! nous prévient-il ; les islamistes feignent seulement de rejeter ces dernières, alors qu’en réalité, ils n’en refusent que la terminologie, qui sert à les nommer, terminologie associée, selon lui et les islamistes, dans l’imaginaire des peuples musulmans, aux entreprises coloniales, néocoloniales et impérialistes.

Ce rejet, qui ne serait donc qu’apparent, est en fait une « réappropriation » de ces valeurs par eux, en vue de les réintroduire dans les sociétés musulmanes, par le biais d’un lexique et de référents culturels locaux, avant tout religieux. « les sociétés [du Sud] réintroduisent les références de leur culture locale-la culture musulmane [sic]- dans les différents niveaux, esthétiques, idéologique... ou politique, de décorer sa maison, des façons de parler et de penser, des références philosophiques, littéraires ou politiques, des modes de raisonnement juridique, que l’irruption des modèles occidentaux avaient discrédités, retrouvent ainsi irrésistiblement leur crédibilité et leur attraits perdus ».

[c’est moi qui souligne, H.A] François Burgat serait-il un fieffé réactionnaire sur le plan social, en comparaison à Mahfoud Nahnah, Frère musulman algérien et ancien leader du Mouvement de la société pour la paix (MSP), qui aimait répéter dans ses déclarations que : « Si le Prophète [Mohammed] était de notre temps, il s’habillerait en costume d’alpaga ».

D’ailleurs, un grand nombre d’aspects du mode de vie et institutionnels occidentaux sont adoptés par les sociétés et les Etats musulmans. Ils auraient pu l’être davantage, si les islamistes et les pouvoirs en places avaient accepté d’aller plus loin, sans craindre de perdre certains de leurs privilèges. Notre spécialiste de l’islamisme ajoute que cette « réappropriation » consiste à expurger la modernité de ses contingences historiques (européocentriques), afin d’en conserver ses invariants universels.

Si l’on en croit ces affirmations, les islamistes ne combattraient pas la laïcité, en tant que telle, mais seulement, parce qu’elle serait reliée, selon lui, à un sombre passé, dont la responsabilité incombe à ses promoteurs, et parce qu’elle a évincé la chari’a de la gestion de la Cité. Or l’essence même de la laïcité n’est-elle pas la séparation des Eglises et de l’Etat ?

Pour appuyer cette assertion, notre auteur n’a pas trouvé mieux que d’appeler en renfort le salafiste, Omar Aderrahmane, l’un des commanditaires de l’attentat criminel, de février 1993, dans les sous-sols du Word Trade Center, à New York, attentat qui avait fait six morts et un millier de blessés, parmi des innocents. « du fond de la prison américaine, écrit-il, Omar Abderrahmane vitupère les « soixante-dix années sans chari’a » qu’il rend responsable de tous les maux des musulmans ».

Liess Boukra, sociologue algérien, comble opportunément le « déficit » en information de Burgat, en indiquant que ce leader islamiste dirigeait « depuis plusieurs années, le centre des réfugiés Al-kifah, à New York ; un centre où se recrutent les volontaires du Djihad. Durant la guerre en Afghanistan, il a été utilisé comme centrale de recrutement par la CIA. »2

De plus, il est notoire que les islamistes vouent aux gémonies la laïcité, car elle les prive de leur fonds de commerce : la redoutable arme de la religion. Aussi, n’hésitent-ils pas à mentir effrontément à son sujet, en violation des prescriptions du Coran, et à falsifier la signification de l’un des principaux piliers de la modernité politique, en vue de provoquer son rejet par les musulmans, en leur affirmant que la laïcité est synonyme d’athéisme.

François Burgat nous rassure par ailleurs qu’il a : « fréquenté suffisamment de près de leaders ou de militants islamistes au cours de dix-sept années que j’ai vécu dans le monde arabe. », pour être en mesure de jeter aux orties les définitions de ce courant politique, qu’en donnent des « professeurs de criminologie » sur les plateaux de télévision. Il définit quant à lui « l’islamisme [...comme] avant tout l’usage du lexique musulman dans la sphère politique... »

C’est par une telle ineptie que notre chercheur veut nous faire croire que les islamistes n’instrumentalisent pas sans vergogne l’islam en vue d’instaurer une théocratie, comme mode de gestion du politique, afin de permettre une exploitation féroce de la e ouvrière et des masses laborieuses musulmanes. Faisons observer que, quelques années plus tard, celui-ci nous informe que désormais les notions de mouvement « islamique » ou « islamiste » sont inopérantes, car elles couvrent une réalité disparate. Il ne continuera pas moins- quelques... mots plus loin- à employer ces deux termes, sans craindre la contradiction.

La pression ( ou revanche ?) inéluctable de l’islam sur le judaïsme, le christianisme et la civilisation occidentale Selon notre auteur, ce que l’on désigne par « retour du religieux », à travers la « réislamisation », dans les pays musulmans, ainsi que la « rejudaïsation » et la « rechristianisation », dans le monde judéo-chrétien, couvrent, sous un vocabulaire religieux, un malaise et des aspirations parfaitement profanes ; l’emploi du vocabulaire religieux ne devant donc pas faire illusion.

Il n’aime toutefois pas l’expression « refus de tous les intégrismes », qui assimile le premier processus aux deux autres. La « réislamisation » s’en différencieraient fondamentalement, par ses perspectives historiques progressistes, qui seraient selon lui tout à l’opposé des deux autres phénomènes. Ces derniers seraient appelés à se muer immanquablement en « intégristes ».

L’islamisme serait quant à lui en train d’achever sa phase « intégriste », depuis la fin des années soixante-dix, phase qui aurait terni à tort son image. L’achèvement de cette phase s’accomplirait, sous l’effet conjugué du développement économique et social, et de l’ouverture démocratique dans les Etats musulmans. De plus, « en terre chrétienne du Nord, la réalité d’un « retour du religieux » est loin d’être établie. » Il est surprenant que François Burgat puisse effectuer pareils comparaisons et avancer de tels pronostics concernant ces deux derniers phénomènes, alors que leur existence n’est même pas prouvée ?

Comme illustration parmi d’autres de la « modernité islamique », notre universitaire nous cite ces berbères algériens, qui, en adhérant à la cause islamiste, se seraient par la même occasion, délestés de leur carcan « ethnique », qui les maintenait dans un « ghetto politique ». A le suivre, ce sont les tueurs du FIS qui sont imprégnés des valeurs de la modernité politique, et non pas les militants des partis démocratiques, modernistes et laïques du Front des forces socialistes de Hocine Aït-Ahmed, et du Rassemblement pour la culture et la démocratie, de Saïd Sadi.

Il ajoute, en colportant en partie, les proclamations des islamistes radicaux, confortant ainsi les théories musulmanophobes des adeptes du choc des civilisation, en prédisant aux deux autres processus (de « rejudaïsation » et de « rechristianisation ») de sombrer dans l’intégrisme, sous la « pression de l’islam » (encore une confusion sciemment entretenue, qu’il emprunte aux islamistes) « idéologique » (islamiste ?) et « sociologique » (entendre le poids numérique grandissant de l’immigration musulmane en Occident) « sur la civilisation occidentale », et sur le christianisme et le judaïsme.

François Burgat donne ainsi raison aux néoconservateurs et aux racistes de tous poils en Occident de mettre en garde leurs concitoyens, contre les menaces que feraient peser l’islam et les musulmans sur leur identité et leurs valeurs.

La « modernité islamique » assigne les musulmans à un retour préalable à l’ état « théologique »

L’intéressé nous précise cependant que « Le processus [...] de restauration des références [...] induit inévitablement [c’est moi qui souligne, H.A] des formes de rupture avec ce que le « progrès », c’est-à-dire, pas seulement technique mais aussi intellectuelle et politique, a depuis lors apporté à ces sociétés [musulmanes] ».

Ainsi, pour que les peuples musulmans puissent accéder à la modernité, notre universitaire leur inflige un retour préalable à l’aube de l’humanité, en refaisant le chemin de celle-ci tel que tracé par Auguste Comte, à savoir les états « théologique », puis « métaphysique » et enfin « positif ». En termes crus, les musulmans seraient condamnés à subir le purgatoire d’une phase de transition, qu’il est difficile d’appeler autrement que dictature islamiste.

Burgat pousse le zèle encore plus loin que les islamistes les plus obtus, jusqu’à parler de bannissement temporaire par les islamistes de la technologie dans les sociétés musulmanes. Bref, une société à la Khmer rouge. Alors que les Etats islamistes, gr ce à leurs richesses colossales, figurent parmi les plus gros consommateurs de technologie, et qu’Al-Qaïda use d’une technologie ultra-sophistiquée, pour massacrer des musulmans et des innocents dans le monde.

[La prétendue « efficacité » du discours et des référents islamiques]. Notre chercheur aborde une autre idée, au prix d’un énième parti pris flagrant en faveur des islamistes et au mépris de l’objectivité à laquelle il est tenu en tant que chercheur. « Pourquoi, selon lui, le lexique et le référentiel de la culture islamique ont acquis, dans des mobilisations sociales [...], une « efficacité » supérieure à ceux qui les ont précédés et notamment, ceux du nationalisme « ethnique » (arabe) dit « laïque » ».

D’abord, cette prétendue « efficacité » du discours et des référents islamiques n’est ni plus, ni moins efficace que le discours et le référentiel nationaliste et racial ou racialiste, tout aussi populiste et démagogique de l’extrême droite européenne et des évangélistes états-uniens qui surfent, à l’instar des islamistes, sur les frustrations des es populaires. Cette « efficacité » s’inscrit dans une conjoncture nationale et internationale marquée par l’offensive de la réaction et de la contre-révolution ultra-libérale, dont les organisations islamistes constituent, à des degrés divers, l’un des détachements, à l’échelle du monde musulman.

Les quelques contradictions, secondaires et bien circonscrites, qui peuvent quelquefois les opposer à leurs homologues occidentaux ne changent pas fondamentalement la donne. Cette prétendue « efficacité » le doit aussi pour une part non négligeable aux milliards de dollars que leurs parrains saoudiens, kowéitiens, etc. leur déversaient, ainsi que des tonnes de littérature religieuse et politique, et des cassettes audio et audio-visuelles à contenu obscurantiste, anticommuniste, antisémite, misogyne. Ce discours et ce référentiel « islamiques » justifient par la volonté divine l’inégalité entre les hommes et les femmes, et entre le riche et le pauvre, glorifiant la propriété privée, prônant la charité à la place de la solidarité et la résignation de es, au lieu de la lutte des es. De même, ils propageaient des slogans tels que « Ni Est, ni Ouest ! », qui n’est qu’une adaptation du slogan nazi : « Ni capitalisme, ni socialisme ! ».

Enfin, Burgat espère-il nous faire oublier qu’il n’en pas toujours été ainsi pour ce qui est de ce type d’« efficacité ». Ce qui soulevait l’enthousiasme des musulmans par le passé, c’était les mots nationalistes magiques tels qu’ « el watan » (la patrie), « el istiqlal » (l’indépendance), « el houria » (la liberté), et socialistes, tels que « el ichtirakya » (le socialisme), « el adala ijtimaïa » (la justice sociale), la fin de « el istighlal el insann bi akhihi el insann » (l’exploitation de l’homme par l’homme)...

Ce n’est d’ailleurs pas seulement la répression (dont ont également été victimes les communistes et d’autres forces politiques et sociales), qui avaient alors isolé les islamistes des peuples musulmans, mais avant tout pour les raisons que j’ai énumérées. Les peuples du Proche-Orient les avaient même affublés de sobriquets tels que « Toudjaar Eddine » (les Commerçant de la religion) et d’« Ekhwane Echayatine » (les Frères du diable).

La violence des islamistes : peut-être responsables, mais sûrement pas coupables, selon Burgat

Dans un débat organisé par le magazine l’Express, entre la journaliste et spécialiste du fondamentalisme, Caroline Fourest, et François Burgat, la première n’a pas manqué d’interpeller le second au sujet de ses positions sur le terrorisme du FIS en Algérie.

« Dans tous vos écrits, lui avait-elle reproché, vous avez soutenu le Front islamique du salut. Les massacres, selon vous, étaient uniquement imputables à l’armée et au gouvernement. Autrement dit, les islamistes seraient de doux agneaux... », et le fait aussi qu’il ait mis toute « son énergie à dénoncer le complot de l’armée [algérienne] ne sert qu’à une chose : disculper les intégristes de leurs crimes... ». Elle avait un peu plus tôt défini l’islamisme, comme un « mouvement politique qui instrumentalise la religion à des fins liberticides et réactionnaires. »

Voici la réponse du mis en cause. « Nous serions d’accord [...] si vous évoquiez la composante « salafiste », c’est-à-dire la frange sectaire du courant islamiste, et non pas sa totalité. [...] Elle existe. Je la dénonce et je la combats comme vous. »

Voyons maintenant comment François Burgat « dénonce » et « combat » cette tendance de l’islamisme. D’abord, il omet volontairement de porter à notre connaissance que le FIS et ses nombreuses bandes armées sont des salafistes, pure jus. Ensuite, il absout ces mêmes salafistes de leurs longues listes d’atrocités en Algérie : égorger des citoyens, enfourner des bébés, faire exploser des voitures piégés devant les marchés et les lieux populeux, transformer dans les maquis les sabayas (les captives) en esclaves du travail le jour et en esclaves sexuels le soir pour tous les membres du groupe, violer ou sodomiser une femme parfois devant son mari ou ses enfants, avant de la découper, etc. Il fait également endosser la « ...responsabilité massive, systématique [c’est moi qui souligne, H.A] de l’armée algérienne dans les massacres qu’elle a attribués aux islamistes ? » Notre chercheur ne se contente pas de blanchir, comme neige, a posteriori les assassins se réclamant de l’islam politique. Il excuse aussi a priori leurs crimes, en les présentant, comme des victimes. Leur violence ? Elle n’est que le fruit de l’oppression passée et présente du colonialisme, du néocolonialisme et de l’impérialisme qui sont de « véritables machines qui fabriquent des poseurs de bombes » et à « produire de la violence politique ». Malgré cela, les « salafistes » qu’il dit « dénoncer » et « combattre » ne seraient pas passé à l’acte, s’ils n’ont pas été forcés à dessein de se « radicaliser », et s’il ne s’était pas agi de « manipulations, souvent massives, des franges extrémistes de l’opposition islamiste » de la part des régimes musulmans.

Par dépit que les islamistes aient échoué à instaurer une islamodictaure à la soudanaise en Algérie, notre politologue décharge sa rage en traitant de « laïco-éradicateurs »3 les démocrates républicains algériens4, constituées d’une partie de la gauche et des laïques, ainsi que de l’écrasante majorité des organisations féministes, syndicales et des anciens résistants anti-colonialistes.

Notre auteur cache également à ses lecteurs qu’en Algérie (et dans quelques autres pays musulmans), la répression contre le terrorisme islamiste est menée, depuis les débuts des années 1990, avec la pleine collaboration des Frères musulmans algériens, du MSP, qui comptent plusieurs ministres, dont Abou Djerra Soltani, le président actuel de cette formation politique, dans le gouvernement islamo-conservateur algérien.5

Précisons au passage que l’armée algérienne est d’extraction populaire (60% d’appelés du contingent) et ne se réduit aucunement à une poignée de généraux véreux. Elle compte en son sein des milliers d’officiers républicains et une minorité de laïques qui ont combattu le terrorisme islamiste sur une base idéologique : la préservation du caractère républicain de l’Etat algérien.

Selon lui, la violence islamiste serait de tout façon un moindre mal, dans la mesure, où elle vise à l’avènement de la « modernité islamique ». C’est ainsi qu’il cite entre autres le cas de l’interdiction de force, en 1979, par les commandos islamistes, de la mixité dans les excursions à l’université du Caire. Il affirme sans sourciller que cette interdiction correspondait à l’aspiration de la « population universitaire féminine- en l’occurrence une large majorité- pour qui la pratique de la mixité hors mariage n’est pas acceptée ». Il ajoute que « Pour toutes celles pour qui ce qui se passe « sous le voile » [C’est moi qui souligne, H.A] ne se passe à bien des égards que gr ce à lui, cette réconciliation va paradoxalement permettre de goûter aux bénéfices d’une indiscutable... modernisation. » D’après lui donc, si ces étudiantes avaient rejeté la mixité, c’était en vue d’échapper au contrôle de leurs familles et d’accéder par conséquent à un mode de vie moderne, notamment de pouvoir satisfaire leurs désirs sexuels, gr ce aussi au port du hidjab, qui éloigne d’elles tout soupçon de fornication. Premièrement, sur quoi Burgat s’est-il fondé pour affirmer qu’une « large majorité » d’étudiantes égyptiennes de cette université avaient refusé la mixité hors mariage ? A-t-il effectué un recensement, parmi elles ? De plus, la citation ci-dessous montre que Burgat confond entre les étudiantes non voilées et les étudiantes voilées, qui sont soit des militantes ou soit des sympathisantes islamistes. Deuxièmement, comment ces mêmes étudiantes espéraient-elle utilisaient, d’après lui, le stratagème du port du hidjab, pour pouvoir faire l’amour avec leurs camarades étudiants, en même temps qu’elles refusaient de les côtoyer. Troisièmement, la présence même de ces étudiantes dans cet établissement, où règne la mixité, atteste que cette dernière ne constituait pas un obstacle majeur pour leurs familles.

De plus, le rejet de la mixité par les islamistes ne concerne pas seulement cet enceinte et ce milieu, bien au contraire. Dans toutes les universités des pays musulmans, où ils disposaient d’un minimum de puissance (avec l’apport des islamistes non universitaires ou du lumpenprolétariat), ils avaient imposé ou tenté d’imposer la séparation des sexes. Ils ont également appliqué cette politique en dehors du milieu universitaire. C’est ainsi qu’en Algérie, dans les municipalités qui disposaient de régies de transport, et que le FIS avaient gagnés, en 1990, comme celle de Blida, ce parti avait installé une cloison en plexiglas, au milieu des bus, séparant les femmes (à l’avant) et les hommes (à l’arrière). Nous l’avons vu aussi en France avec leur réclamation, à l’instar des intégristes juifs, des séances de piscine non mixtes, ou la soigneuse séparation des femmes et des hommes, lors des rassemblements et des réunions organisées par eux, même en présence d’un Tariq Ramadan, que certains présentent faussement comme un islamiste modéré ou un musulman libéral.

Voyons maintenant comment François Burgat justifie-t-il la théorie de la violence de Qotb, l’un des idéologues les plus en vue des islamistes du monde entier ? Celui-ci avait appelé, au milieu des années soixante, à suivre l’exemple de l’expérience guerrière du prophète Mohammed, qui avait détruit les symboles du paganisme de la période préislamiste, en Arabie. Qotb en avait tiré la conclusion que pour prendre le pouvoir d’Etat, les « musulmans » (c’est-à-dire les islamistes) devrait recourir à la violence, qui est pour eux plus qu’une nécessité, une obligation. Burgat justifie cette « radicalisation » par les tortures que lui avait infligées le régime de Abdelnasser, avant de l’exécuter, en août 1966. Or Qotb ne pouvait pas ne pas s’inspirer de ses maîtres à penser : Ibn Taymiya, considéré comme le grand théoricien du djihad et Mohammed Ibn Abdelwaheb, dont la doctrine, le wahabisme, fait des ravages dans le monde musulman. De plus, le régime de Abdenasser tortura tout autant, et emprisonna pour de longues années et parfois, assassinat des communistes égyptiens, qui prônaient et se battaient pourtant pour le socialisme, qui était la doctrine officielle du régime. Pour autant, ces pratiques inhumaines ont-elles amené les communistes égyptiens à excommunier l’ensemble des Etats et des peuples musulmans, comme l’ont fait Qotb et ses semblables ? Non. Ce sont les communistes et l’extrême gauche des pays musulmans qui ont, depuis les années 1960 et 1970, qualifié les mouvements islamistes de fascistes. Ils l’ont fait en observant un certain nombre de caractéristiques essentielles sur les plans de l’organisation et des méthodes que ces derniers avaient copié sur les chemises brunes de Benito Mussolini et les Section d’assaut d’Adolf Hitler. Il faudrait ajouter les similitudes dans leurs programmes politiques respectifs en faveur d’un capitalisme, pure et dure. Sous couvert de char’ia, c’est-à-dire d’application des préceptes pseudo-divins (car ils sont de fabrication humaine), les mouvements islamistes visent à instaurer un ordre politique et social qui muselle les es laborieuses musulmanes et interdisent leurs organisations politiques et syndicales de gauches. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les marxistes étaient la cible privilégiée et permanente des calomnies et des agressions physiques des islamistes, au nom d’ « Allah Akbar ! » (Dieu est grand !) et à coup de barres de fer, de gourdins, de sabres, de chaînes à vélo, d’esprit de sel, etc. Ces agressions, qui se faisaient souvent avec la complicité, active ou passive, des régimes en places, entraînaient parfois morts d’hommes. Au début des années 1980, l’étudiant, Kamel Amezal, avait été assassiné, dans la cité universitaire-garçons- de Ben Aknoun, à Alger, à coups de sabre, par un commando islamiste, qui voulait interdire toute activité dans la cité, à part les leurs. Les islamistes cultivent aussi une véritable névrose envers le sexe des musulmanes. Ils culpabilisent la plupart d’entre elles en les traitant de mauvaises croyantes, voire de dévergondées, de dénudées ou de prostituées, pour l’unique raison qu’elles ne portent pas leur uniforme politique et sexiste. Sexiste, car cet uniforme, qu’est le hidjab, considère non seulement la musulmane comme inférieure au musulman, mais aussi parce qu’il les considère tous deux, non pas avant tout comme des êtres humains, mais d’abord comme des sexes. Burgat occulte la nature de e des partis islamistes Pour cet universitaire, le processus de « réislamisation », est, de par sa nature identitaire, transiste, à savoir un processus qui transcende les intérêts d’une seule e sociale, pour englober les intérêts communs à toutes les es. Il nous semble que Burgat comment une double méprise. D’abord, l’islamisme n’est pas un phénomène identitaire, mais une force politique, qui vise la prise du pouvoir d’Etat, et défend, à ce titre, des intérêts de es, bien définis. Ensuite, notre universitaire confond ou feint de confondre la nature sociologique d’une formation politique avec la nature (ou l’essence) de son programme politique. La phrase suivante de Hassan Banna, le fondateur des Frères musulmans en Egypte, ne laisse aucun doute quant aux convictions politiques de celui-ci : « Les ouvriers doivent toujours se rappeler le devoir qu’ils ont envers Dieu, leur me et leur patron. »6

Burgat adepte de Bernad Lewis et de Samuel Huntington ? L’ascendance des islamistes sur François Burgat est telle qu’il affirme qu’« Au cœur du malentendu » entre l’Occident et le monde musulman est l’incapacité du premier à « banaliser » ses relations avec les islamistes, vus comme réfractaire à la modernité. Comment peut-il soutenir une idée aussi farfelue, lui l’universitaire et de gauche de surcroît, tout en ne cessant pas de clamer, toujours pour valoriser d’autant les islamistes, que tous les régimes musulmans sont les protégés des pays européens et des Etats-Unis. Par conséquent, aucun conflit n’oppose ces derniers aux premiers, et vice versa. Peut-être avons-nous mal compris les propos notre chercheur. Ceci à notre corps défendant, tant il adopte les amalgames des islamistes, à des fins manipulatrices, concernant des notions telles que « islam », « islamisme », « musulmans » « peuples musulmans », « culture islamique », « réislamisation », etc.

S’agit-il alors d’un conflit entre l’Occident et les peuples musulmans ? Dans ce cas, il transforme de son propre chef tous les musulmans de la planète en militants islamistes ou en sympathisants islamistes. Les musulmans seraient donc gagnés par les islamistes à leur interprétation rétrograde et à leur doctrine économique ultra-libérale, qui sous-tend leur discours pseudo-religieux. Il est vrai qu’il affirme avec beaucoup d’aplomb, que cette force politique représente « 70 à 80% » des peuples musulmans. Par quels moyens a-t-il obtenu ces chiffres ? Mystère !

Ainsi, un culturalisme poussé jusqu’à la caricature par ce spécialiste de l’islamisme, fait reprendre par celui-ci, l’une des pièces maîtresses de la propagande des islamistes, depuis plus de 80 ans : l’Occident, présenté uniquement comme aire civilisationnelle, en voudrait à l’islam, entendre à leur projet de société réactionnaire et profondément inégalitaire.

Burgat ne fait que dénaturer, à la suite des islamistes, la lutte des peuples musulmans, luttes semblables et solidaires aux luttes des autres peuples chrétiens, indouistes... Elle consiste à s’opposer au système capitaliste, fondée sur l’extorsion de la plus-value à l’ échelle internationale par le biais de rapports bilatéraux et de mécanismes d’exploitation mis en œuvre par les organisations multilatérales telles que le FMI, la Banque mondiale, l’OMC... organisations contrôlées par les entreprises transnationales, via leurs supplétifs. Les peuples musulmans luttent aussi, à l’instar des autres peuples, contre l’expression politico-militaire de ce système : l’impérialisme.

Pour notre auteur, les islamistes représentent également le mouvement de libération du « Sud » de la domination du « Nord », « judéo-chrétien ». Peu lui importe que le Sud « n’est pas [...] seulement musulman », comme il l’avance. Il aurait dû pourtant préciser que les musulmans y sont même minoritaires. L’Inde, ancienne colonie britannique, compte à elle seule, presque autant d’indouistes (85% de la population) que de musulmans sur Terre. En dépit de cette faible proportion, Burgat persiste à soutenir une thèse aussi erronée, sans parler du passé peu glorieux des islamistes- mouvements et Etats- qui s’étaient rangés sous la bannière de l’impérialisme, durant la guerre froide. Il passe également sous silence l’existence de multiples mouvements dans les pays du « Sud » qui contestent à des degrés et sous des formes diverses la domination du « Nord », sur des bases, soit réactionnaires (nationalistes chauvins, fondamentalisme politico-religieux, à l’instar des islamistes...), soit anti-impérialistes, voire anticapitalistes (nationalistes de gauche, courants marxistes, notamment en Amérique latine...).

Il reste également muet sur le fait que les régimes islamistes du golfe, vassaux des Etats-Unis et des autres Etats impérialistes, sont les argentiers et puissants protecteurs politico- diplomatiques des mouvements islamistes. En échange, ces derniers s’étaient comportés, comme les complices de fait des anciennes puissances coloniales, en s’opposant à toutes les réalisations anti-impérialistes et aux tentatives de leurs peuples de récupérer leurs richesses naturelles pour les mettre au service de leur bien-être et de leur développement socio-économique.

Face à ses menées, Burgat tantôt s’abrite derrière la propagande des islamiste pour valoriser leurs actions ou camoufler leurs agissements, tantôt il s’en fait ouvertement le relaie à travers certaines expressions assimilant les acquis politiques, économiques et sociaux des peuples musulmans à des « séquelles coloniales », et les « nationalisations » (du pétrole, des terres, du Canal de Suez, etc.) à des mesures « exogènes », « non endogènes », à un « déficit d’endogénéité », à des « séquelles culturelles [du colonialisme] », de « ne pas assumer de rupture culturelle et symbolique réel avec l’univers colonial », en « usant de catégories marxisantes, de la pensée occidentale », et de l’« autoritarisme croissant des « élites nationalistes », etc.

Pour noyer encore plus le poisson, il présente pèle mêle, les régimes musulmans, comme des protégés des Occidentaux, afin de s’éviter de révéler certaines vérités. Les pays musulmans n’ont, ni tous, ni toujours, ni au même degré tissé des alliances avec les grands pays impérialistes. Ils se sont longtemps divisés en anti-impérialistes tels que l’Egypte, l’Algérie, la Syrie, l’Irak (une certaine période), le Yemen du Sud, etc. qui étaient constamment menacés de coup d’Etat par la CIA, et avaient lutté aux côtés du Vietnam de Ho Chi Minh, du Chili de Salvador Allende, des Sandinistes du Nicaragua, de Cuba, etc.

Le « mal » de tous ces pays étaient aux yeux de l’impérialisme et des islamistes leur volonté de parachever leur indépendance politique par une indépendance économique, et la revendication d’un Nouvel ordre économique plus juste entre le Nord et le Sud. Et les pro-impérialistes tels que les monarques marocain, Hassan II, et jordanien, Hossein, le dictateur islamiste, pakistanais, le général Zia el Haq, les monarchies islamistes du golfe et les mouvements islamistes.

Ce sont ces précisions que l’on aurait pu légitimement attendre de la part d’un spécialiste de l’islamisme. Il est vrai que ces révélations ruinerait cette thèse, si contraire à la vérité. Cela étant, quoiqu’on pense des régimes musulmans, et à l’exception des monarchies du golfe, et quelques autres pays, à l’instar du Soudan, la plupart d’entre eux ont, bon gré ou malgré eux, sécularisé des pans entiers leurs Etats et de leurs sociétés, et introduit une relative modernité en leur sein, en un espace de temps très court. Il ne s’agit pas d’ignorer le long chemin qui reste à faire pour l’abolition des monarchies et l’instauration de la démocratie et la laïcité pleine et entière.

Le révisionnisme de Burgat concernant la paternité des luttes d’indépendance de certains pays arabes. L’intéressé va jusqu’à émettre une grossière contre-vérité, concernant la paternité des indépendances de l’Egypte, de la Tunisie et de l’Algérie. Selon lui, le pouvoir aurait dû revenir de droit aux islamistes, lors des indépendances de ces trois pays, en nous expliquant que : « Les premiers islamistes modernes seront en effet écartés, dans tous les cas, au bénéfice des élites indépendantistes « laïques », au terme d’un processus dont toutes les dimensions (et notamment le rôle joué par les puissances coloniales dans la cooptation de leur « interlocuteurs-partenaire » indépendant) n’ont pas encore été éclaircies ».

Autrement dit, l’Egyptien, Gamal Abdelnasser, le Tunisien, Habib Bourguiba et l’Algérien, Ahmed Ben Bella, ainsi que leurs compagnons nationalistes, et parfois des éléments de gauche et des marxistes ne seraient en fait que des fantoches des puissances coloniales, qui les ont parachutés à la tête de ces Etats, nouvellement indépendants. Pourtant, voici ce que racontent Olivier Carré et Michel Seurat à propos des Frères musulmans égyptiens7. « Les premiers dons reçus cette année-là, [en 1928], sont le fait de la compagnie du Canal [de Suez]. 500 livres égyptiennes ; outre le permis de construire du premier local des Frères, mais aussi une mosquée [...]. Banna niera plus tard ces dons de la Compagnie du Canal, après s’être justifié auprès de Frères qui le quitteront ». Banna avait collaboré avec le roi Farouk, et « garder pendant toutes ces années des contacts suivis avec la puissance coloniale ».

Les deux auteurs montrent aussi comment ces intégristes avaient été instrumentalisés aussi bien par le Palais que par le chef de l’université d’El Azhar contre le Parlement, le gouvernement, les partis politiques, en particulier, le Wafd, pionnier de la revendication de l’indépendance de l’Egypte. Il perdra plus tard son crédit pour sa conciliation avec les Britanniques. Ce parti avait une « tare » supplémentaire : il était laïque. Sa devise était : « La religion est pour Dieu et la patrie est pour tous ».

Quant à l’Association des ouléma algériens, composée aussi d’islamistes (leur figure de proue fut Bachir Ibrahimi), elle réclamait la liberté du culte musulman et l’égalité des droits dans le cadre de l’Etat colonial français. Elle n’a de surcroît rejoint que tardivement la guerre de libération nationale, déclenchée en 1954, par les nationalistes du Front de libération nationale. Malek Bennabi (1905-1973), intellectuel islamiste francophone et père du fondamentalisme dans l’Algérie indépendante, explique la domination coloniale du peuple algérien par la « colonisabilité » de celui-ci.

Il récidivera à l’indépendance, en parlant de « néocolonisabilité » du peuple algérien. La revue, au titre aussi séduisant que trompeur, Humanisme musulman, de l’association islamiste algérienne, Al Qyam el islamia, avait publié un article qui disait entre autres ceci : « Qu’est-ce que le mouvement hitlérien ? [...] Le mouvement nazi n’est au fond qu’une réaction, brutale certes, contre un état de fait ; l’Allemagne était en décomposition, il fallait sauver l’Allemagne. Le régime nazi étant le seul régime capable de sauver l’Allemagne, le régime était l’Allemagne, et ses ennemis étaient les ennemis de l’Allemagne, et qu’il fallait détruire sans pitié. »8

En Israël, et bien avant les révélations (en 1987) de l’hebdomadaire israélien, Koteret Rashit, et de Charles Enderlin, correspondant de France 2, en Israël, dans le journal Le Monde (du 4 février 2006), nous, militants de gauche algériens, à Alger, étions déjà au fait de la collusion des islamistes palestiniens avec les autorités israéliennes, contre la résistance palestinienne, incarnées alors par les seules nationalistes et les marxistes laïques. Ainsi, dès les débuts de 1980, nous lisions, dans les organes centraux, El Hadaf (le But) et El Houria (la Liberté), des organisations d’extrême gauche, respectivement le Front démocratique pour la libération de la Palestine et le Front populaire pour la libération de la Palestine, des articles relatant les agressions physiques des membres de la résistance palestinienne par des commandos des Frères musulmans, avec la bénédiction du Shin Bet et du Shabak, ou le fait que ces fondamentalistes se portaient ou soutenaient les listes des élections syndicales professionnelles de l’ « administration » (israélienne) contre celle de la résistance. En 1979, le leader islamiste palestinien, Fathi Shqaqi9, écrit un ouvrage, dans lequel il critique l’OLP, pour son inefficacité dans sa lutte contre Israël, et surtout la « discrétion des Frères musulmans de Palestine, qui avait sacrifié le combat politique contre Israël au confort de la prédication et de l’action sociale ».

La mémoire arabe se souvient encore de Septembre-Noir, ce tragique mois de 1970, où les islamistes jordaniens avaient apporté leur soutien à leur roi, dans le massacre des fidayine et des réfugiés palestiniens, en échange de prébendes et de « strapontins » dans le pouvoir.

Le renversement dans les années 1980 du régime progressiste d’Afghanistan par la coalition impérialo-islamistes

Nous aurions espéré voir, que là aussi, aussi bien le chercheur que l’homme de gauche, nous révéler les véritables enjeux de la guerre d’Afghanistan, qui avait vu s’affronter, en 1980, d’une part, le régime progressiste de Najibullah et l’armée rouge, à laquelle il avait fait imprudemment appel à l’aide, et d’autre part, la coalition islamiste et impérialiste mondiales.

Or celui-ci reproduit aujourd’hui encore la mystification des peuples musulmans et d’Occident, par les impérialistes, les monarques réactionnaires du golfe et les mouvements islamistes. Ainsi, parle-t-il de « participation victorieuse [des islamistes] à la résistance contre l’occupation [c’est moi qui souligne, H.A] soviétique de l’Afghanistan » et de « victoire des combattants » [c’est moi qui souligne, H.A] islamistes, dans ce pays. Rappelons, qu’en 1980, Valéry Giscard d’Estaing, le principal rédacteur de l’ultra-libéral et antilaïque Traité constitutionnel européen, avait déclaré : « Pour combattre le communisme nous devons lui opposer une idéologie. A l’Ouest, nous n’avons rien. C’est pourquoi nous devons nous appuyer sur l’islam ». Lors de cet affrontement, les mouvements islamistes du monde entier avaient participé au recrutement de mercenaires, parmi la jeunesse musulmane, encadrée ensuite par les services secrets du dictateur islamiste pakistanais, Zia el Haq, et entraîné et fortement armés par la CIA, dans les bases arrières de Peshawar, au Pakistan.

Nous nous attendions à ce que notre auteur nous montre aussi, comment cette coalition avait réussi à faire croire à ces jeunes qu’ils allaient combattre pour l’islam, alors qu’ils avaient servi de chaire à canon, pour défendre les intérêts des impérialistes, des multinationales et des milliardaires musulmans. Parmi ces « combattants » figurait l’une des créatures de la CIA, devenue tristement célèbre, par la suite ; le terroriste- milliardaire, Oussan Ben Laden. Les islamistes des pays musulmans avaient également mené la guerre de l’image sur ce conflit. Grâce aux pétrodollars, n’importe quel groupe islamiste d’un coin perdu d’Algérie (c’est très probablement le cas pour d’autres pays musulmans, en Europe et aux Etats-Unis), disposait d’un téléviseur couleur (perle rare et très chère à l’époque) et de cassettes vidéos (technologie encore hors de portée de la gauche désargentée des pays musulmans) pour montrer par exemple, comment Dieu envoyait un grand un oiseau abattre les avions Mig ou Sukhoï, et les chars d’assaut T. 60 soviétiques.

Les insinuations malveillantes de François Burgat à l’égard de l’ensemble des élites et des oppositions non islamistes des pays musulmans. La quête éperdue de cette universitaire à servir les islamistes n’a d’égale que la haine qu’il voue aux « élites » non islamistes, dans les pays musulmans, élites qu’il essaie, vaille que vaille, de discréditer, en les désignant ou en leur adjoignant systématiquement des termes disqualifiant. Il tente par cette pratique de créer un effet de contraste qui soit favorable à ses amis islamistes. Sa hantise est que ces intellectuels, ces militants et ces opposants puissent être vues comme une alternative crédible, par la gauche et les minorités musulmanes, d’Europe.

C’est ainsi qu’il les traite d’« élite acculturée », d’élite « dite laïque », d’« infime élite [qui avait ] intériorisée » les valeurs du Nord judéo-chrétien, soit dit en passant les mêmes que celles, qu’il jure ses grands dieux, que les islamistes sont les seuls porteurs parmi les peuples musulmans. Il réduit également toutes ces élites à des « oppositions plus ou moins préfabriquées (ou cooptée) à des fins cosmétiques pour les besoins de la mise en scène d’un pluralisme destiné avant tout à l’exportation ».

Mais qui sont donc ces femmes et ces hommes, ces militantes et ces militants, ces intellectuels et ces opposants qu’il fustige tant, et dont il passe sous silence le combat, parfois de toute une vie, pour les libertés syndicales, les droits sociaux, les droits des femmes, les libertés fondamentales, combat pour lequel ils avaient payé et paient encore un lourd tribu ? Burgat sait parfaitement qu’il ne s’agit pas seulement de béni-oui-oui. Mais il n’a pas le courage de les nommer. Peut-être le fera-t-il à l’avenir ? Ces élites, qu’il maltraite, ont d’abord été et pendant des décennies, presque uniquement, les communistes et l’extrême gauche, et peu ou prou, les nationalistes de gauche qui incarnaient dans ces pays, les valeurs du progrès politique, économique et social. Font partie de ces élites, ces franges des couches moyennes musulmanes modernistes et laïques et des théologiens musulmans libéraux.

Hakim Arabdiou

1 Cette expression fascisante est de Lahouari Addi pour commenter la victoire du FIS aux élections législatives de décembre 1991. Il voulait signifier par là que les Algériens se guériront de l’islamisme, lorsqu’ils subiront l’expérience d’un régime de ce type. Cela n’empêchera cet universitaire, venu enseigner en France, après cette victoire, d’être un fervent réconciliateur avec ce parti, et l’un des supporters de l’accord de San Eggidio, au Vatican, à Rome, de janvier 1995, qui a vu la satisfaction de toutes les exigences du FIS, et consacré par la même occasion, la reddition du peuple et de l’Etat algériens. 2 Liess Boukra : le Terrorisme : définition, histoire, idéologie et passage à l’acte, Chihab édition, 2006, Alger.

3 Ce sont les réconciliateurs algériens, français et des ONG des droits de l’Homme, qui ont appelé « éradicateurs », les démocrates algériens opposés à l’instauration d’une théocratie islamiste et ultra-libéral en Algérie. Ils voulaient par cette appellation leur attribuer mensongèrement la volonté de persécuter indistinctement tous les militants et les sympathisants, voire les électeurs du FIS, alors que l’objectif des forces antifascistes algériennes était d’éradiquer le terrorisme de ce parti.

4 Les démocrates anti-islamistes s’étaient, à un moment donné de la lutte contre l’islamofascisme du FIS, autodésignés ainsi, afin de se distinguer aussi bien de la frange du pouvoir opposé au FIS que des démocrates, qui se sont compromis avec lui, et qu’ils ont rangés sous l’étiquette « réconciliateurs », parce que ceux-ci avaient pris fait et cause pour le FIS.

5 Contrairement à ce que l’on croit, ce n’est pas tout le pouvoir algérien, avec ses principales composantes et centres de décisions, en premier parmi les forces de sécurité et le FLN, qui était opposé à l’accession du FIS au pouvoir. Ainsi, les réconciliateurs étaient représentés dans le pouvoir par les hommes de l’ancien président de la république, Chadli Bendjedid, y compris parmi les chefs de l’armée algérienne, Ali Kafi, président du HCE (équivalent de chef de l’Etat) par les hommes de Mouloud Hamrouche, ancien Premier ministre, par Abdelhamid Mehri, alors secrétaire général du FLN, par l’islamiste, Abdelaziz Belkhadem, alors vice-président, puis président de l’Assemblée nationale, aujourd’hui, Premier ministre...

6 Hassan Banna : El Ikhwane el Moulimine (les Frères musulmans) du 3 mai 1946, cité en p. 226, par Saïd Bouamama dans son Algérie : les racines de l’intégrismes, EPO, 2000, Bruxelles.

7 Olivier Carré et Michel Seurat : les Frères musulmans (1928-1982), éd. L’Harmattan, 2001, Paris.

8 Revue Humanisme musulman d’août 1965 (Alger),cité en note a, p. 225, par Saïd Bouamama dans Algérie : les racines de l’intégrisme, éd. EPO, 2000, Bruxelles.

9 Fathi Shqaqi : Khomeini : l’alternative islamique, cité en pp. 199-200, par Gilles Kepel, : Jihad, expansion et déclin de l’islamisme, éd. Gallimard, 2000 et 2003, Paris

Textes de François Burgat :

. « D’un intégrisme à l’autre », pp. 31-37, in ouvrage collectif, Intégrismes, Algérie, jusqu’où peur-on comprendre ? les nouveaux cahiers du Sud, n° 1/janvier 1996, éd. de l’Aube.

. « Une volonté de « retour au passé » ? », pp.75-84, in ouvrage collectif, L’Islamisme, éd. La Découverte, Paris, 1974.

.Interview accordée au journal l’Humanité du 15 septembre 2001.

.le magazine l’Express, du 17/11/2005

.La génération Al-Qaïda : de l’imposition d’un ordre contesté à l’internationalisation d’une résistance « islamique », en II partie, les mardi 2 et mercredi 10 novembre 2004, in site islamiste Oumma.com.

Partager sur les réseaux :
   
   

Recommander cette page

Pas de licence spécifique (droits par défaut)