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Gérer les tensions entre l’Algérie et le Maroc...

... Pour éviter la guerre présumée par les géostratégies qui font le Monde.

mardi 3 décembre 2024, par populiscoop

Nous proposons cette analyse de “crisis group” car elle d’une pertinence qui donne compréhension, voire anticipation, à une guerre qui ne peut être dissociée des conflits sous-tendus par des interférences géostratégiques des blocs dont on a cru à leur extinction en époque post-guerre froide. Pour la clarté du sujet, il faut d’emblée préciser que les pays occidentaux soutiennent le Maroc. Alors que l’Algérie prétend à une indépendance de toute alliance, y compris avec la Russie et la Chine. Ce qui contribue à induire le palais du nord-ouest africain dans l’illusion de s’adonner aux incidents basés sur la violation de territoire, comme fut le cas des camionneurs algériens frappés par drones.

TRADUCTION réalisée par ARGOTHEME pour POPULI-SCOOP

  • Quoi de neuf ? Depuis 2021, l’Algérie et le Maroc sont empêtrés dans une crise diplomatique. Les incidents au Sahara occidental risquent d’amener les deux pays à en prendre davantage, et les relations de Rabat avec Israël sont une source de frictions.
  • Pourquoi est-ce important ? La retenue mutuelle et la pression américaine ont aidé à contenir les tensions entre les pays, mais l’escalade des pressions pourrait saper le statu quo. Les facteurs de risque comprennent une course aux armements bilatérale, la propagation de la désinformation en ligne, une montée du militantisme parmi les jeunes du Front Polisario pro-indépendance du Sahara occidental et le changement dans les administrations américaines.
  • Que faut-il faire ? Les acteurs extérieurs devraient souligner l’importance de protéger les civils et de permettre à la mission de l’ONU d’opérer efficacement au Sahara occidental. Ils devraient également continuer à dialoguer avec les gouvernements algérien et marocain, calibrer les ventes d’armes et aider à relancer les pourparlers parrainés par l’ONU sur le Sahara occidental afin d’éviter une nouvelle escalade.

Depuis que l’Algérie a coupé ses liens avec le Maroc en 2021, les deux pays ont réussi à éviter la confrontation armée malgré plusieurs incidents au Sahara occidental qui auraient pu conduire à une escalade. Le Maroc avait pris des mesures en 2020 pour normaliser ses relations et poursuivre sa coopération militaire avec Israël. L’Algérie considère les liens de plus en plus étroits d’Israël avec le Maroc – parmi d’autres développements – comme une menace pour sa sécurité nationale. Mais le principal point chaud entre les deux pays est le Sahara occidental, où le Maroc affirme sa souveraineté et l’Algérie soutient le Front Polisario pro-indépendance. Jusqu’à présent, la retenue mutuelle et la diplomatie américaine ont permis de maintenir la paix entre les voisins, mais les hostilités au Sahara occidental, la désinformation en ligne, une course aux armements bilatérale et l’avènement de l’administration du président élu Donald Trump sont autant de risques. Les pays occidentaux peuvent aider à gérer la crise en insistant pour que les parties au conflit au Sahara occidental protègent les civils et permettent à la mission de l’ONU sur place de faire son travail, en limitant les transferts d’armes, en soutenant les pourparlers de l’ONU sur le Sahara occidental et en faisant pression sur les entreprises de médias sociaux pour qu’elles freinent les discours de haine en ligne en Algérie et au Maroc.
Au cours des dernières années, le Maroc et l’Algérie ont tous deux adopté une position de politique étrangère plus affirmée. Sous le règne du roi Mohamed VI, le Maroc a renforcé son influence régionale, notamment par des pressions sur le Sahara occidental, et a élargi ses relations internationales. En revanche, l’influence de l’Algérie a diminué à la suite de l’accident vasculaire cérébral du président Abdelaziz Bouteflika en 2013 et du mouvement de protestation pro-démocratie de 2019-2021, qui a maintenu les autorités préoccupées par la stabilité intérieure. Mais sous la présidence d’Abdelmadjid Tebboune, élu en 2019, Alger tente de retrouver son importance historique dans les affaires nord-africaines et sahéliennes.

Dans ce contexte, des frictions considérables se sont développées entre les deux pays. La normalisation des relations entre le Maroc et Israël fin 2020 a contrarié l’Algérie, qui a senti une conspiration contre ses intérêts. Les événements qui ont suivi, notamment la déclaration du Maroc de soutien à l’autodétermination dans la région de Kabylie, à majorité berbère, et son utilisation présumée de logiciels espions israéliens pour recueillir des renseignements sur des responsables algériens, ont exacerbé les tensions. En août 2021, le ministre israélien des Affaires étrangères, Yair Lapid, a accusé l’Algérie de s’être immiscée dans les affaires sahéliennes lors de sa visite à Rabat, déclenchant la décision d’Alger de suspendre ses relations avec son voisin. Une série d’incidents ultérieurs ont alimenté le différend, incitant Rabat et Alger à acheter de nouveaux systèmes d’armes à l’étranger dans le cadre d’une concurrence acharnée. La désinformation en ligne dans les deux pays n’a fait que jeter de l’huile sur le feu.

Les combats ont repris au Sahara occidental, le Front Polisario ayant renoncé à un cessez-le-feu vieux de 30 ans fin 2020.

Pendant ce temps, les combats ont repris au Sahara occidental, le Front Polisario ayant renoncé à un cessez-le-feu vieux de 30 ans fin 2020. Depuis lors, Rabat et le Polisario sont enfermés dans une guerre d’usure, qui met en péril la mission de l’ONU au Sahara occidental depuis 1991. En 2022 et 2023, la mission a déclaré qu’elle pourrait devoir se retirer, ce qui aurait pu mettre les troupes marocaines et algériennes face à face à la frontière, augmentant considérablement le risque d’une guerre transfrontalière. La mission a été préservée, grâce à l’intercession des États-Unis, et les tensions se sont apaisées par la suite.

Le dossier du Sahara occidental handicape l’essor du Maroc

Les acteurs externes ont joué une variété de rôles. Depuis Washington, l’administration Biden a tenté d’éviter un conflit direct en approfondissant son engagement avec les trois parties au cœur de la crise – l’Algérie, le Maroc et le Polisario. Les gouvernements européens, en revanche, ont eu du mal avec leur diplomatie, pris au milieu du jeu à somme nulle entre Alger et Rabat. L’Espagne et la France ont tenté de rester en bons termes avec les deux pays, mais se sont finalement alignées sur le Maroc, exprimant leur soutien à sa solution préférée au conflit du Sahara occidental. Dans les deux cas, ce changement a aliéné l’Algérie. L’Union européenne a tenté de protéger ses relations avec le Maroc des répercussions d’une longue bataille juridique sur le Sahara occidental devant la Cour européenne de justice, s’efforçant (avec un succès mitigé) d’équilibrer cet effort avec un rapprochement avec l’Algérie.
La rivalité entre l’Algérie et le Maroc s’est étendue à d’autres régions d’Afrique du Nord et subsaharienne. Le Maroc a profité du déclin de l’influence de l’Algérie au Sahel pour proposer la construction d’une autoroute reliant cette région au Sahara occidental sous contrôle marocain. En réponse, Alger a proposé un nouveau groupement nord-africain qui inclurait la Libye et la Tunisie et exclurait le Maroc. Au sein de l’Union africaine, les frictions entre les deux voisins ont parfois sapé le fonctionnement régulier des institutions.
Grâce à une retenue mutuelle et avec l’aide des États-Unis, l’Algérie et le Maroc ont réussi à éviter un affrontement militaire, mais le danger n’est pas passé. Au Sahara occidental, par essais et erreurs, les deux parties semblent s’être mises d’accord sur certaines règles du jeu (étayées à certains égards par leurs obligations en vertu du droit international) qui impliquent la protection des civils et la sauvegarde du rôle de la mission de l’ONU sur le terrain. Mais le statu quo précaire pourrait être façonné par plusieurs facteurs de risque. Il s’agit notamment des appels lancés par des militants agités du Polisario en faveur d’une action plus agressive contre le Maroc ; la course aux armements entre Alger et Rabat ; les effets de la rhétorique en ligne ; et la possibilité que la nouvelle administration Trump perturbe l’équilibre diplomatique façonné par l’équipe Biden.
Alors que les États-Unis se trouvent dans un moment de transition politique, les gouvernements européens devront peut-être prendre l’initiative d’aider à gérer les tensions entre les deux voisins. Eux et d’autres acteurs extérieurs intéressés devraient encourager les parties à traiter comme sacro-saintes les règles du jeu émergentes, encourager les fournisseurs à calibrer leurs expéditions vers Rabat et Alger afin de contenir le risque d’une course aux armements déstabilisatrice, aider à relancer les négociations menées par l’ONU sur le Sahara occidental et encourager les plateformes de médias sociaux à surveiller et à réduire la désinformation incendiaire. Lorsque les conditions seront réunies, la prochaine étape pour l’Algérie et le Maroc consistera à rétablir leurs liens et, idéalement, à aller au-delà de la normalisation diplomatique pour promouvoir la coopération en matière de sécurité des frontières, d’infrastructures et de commerce comme base d’une relation plus stable, productive et durable.

      • Alger/Rabat/Bruxelles, le 29 novembre 2024

I. Introduction

L’Algérie et le Maroc, voisins d’Afrique du Nord, entretiennent depuis longtemps des relations tendues. Leurs désaccords récurrents remontent à l’échec d’un projet d’unification. L’idée d’un seul État nord-africain comprenant l’Algérie, le Maroc et la Tunisie – qui étaient tous sous différentes formes de domination coloniale française au début des années 1950 – était populaire dans les trois pays au début de la guerre d’indépendance algérienne en 1954. Mais en 1956, le gouvernement français décida d’accorder l’indépendance au Maroc et à la Tunisie, afin de se concentrer sur la conservation du contrôle de l’Algérie. Cette décision réduisait la probabilité que les trois peuples mènent une lutte commune pour former un État unifié. Les armées postcoloniales marocaine et tunisienne étaient trop faibles pour intervenir en faveur de l’Algérie.
Immédiatement après l’indépendance du Maroc, le roi Mohamed V a commencé à épouser le concept d’unité nord-africaine, mais sous la forme d’un discours irrédentiste du « grand Maroc » promu par les aristocrates de Fès, le siège de longue date de diverses dynasties marocaines. Ce « grand Maroc » s’étendait sur ce qui est aujourd’hui le Sahara occidental et d’autres zones détenues par l’Espagne à l’époque, telles que les enclaves côtières d’Ifni, Ceuta et Melilla. Il comprenait également une bande du sud de l’Algérie, s’étendant de Colomb Béchar au sud à Tindouf et de Hamada du Guir à l’est jusqu’à l’Erg Iguidi. Enfin, elle s’étendait vers l’est jusqu’à Tanezrouft (partie de l’actuel Mali) et englobait toute la Mauritanie. Les sultans marocains de Fès ont régné sur toutes ces terres à diverses époques au cours des siècles passés, bien que leur contrôle ait souvent été contesté ou incomplet, selon les circonstances.
En février 1961, après la mort de Mohamed V, son héritier Hassan II commence à mettre davantage l’accent sur les revendications marocaines en Algérie. L’objectif était triple. Tout d’abord, la prise de contrôle des régions immédiatement à l’est du Maroc, Tindouf et Colomb Béchar, permettrait à Rabat de contrôler plus facilement les tribus nomades vivant dans son domaine existant. Deuxièmement, le roi croyait qu’il pouvait affaiblir la gauche « panarabiste » marocaine, dynamisée par la victoire du mouvement de libération algérien en 1962. Enfin, l’invocation du passé impérial du Maroc a servi à émousser les courants antimonarchistes de la pensée politique émanant de l’Algérie nouvellement indépendante et socialiste, ce qui a amélioré les relations du royaume avec l’Occident au milieu de la guerre froide.

Les revendications du Maroc ont donné lieu à des querelles sur la définition de la frontière [entre l’Algérie et le Maroc].

Les revendications du Maroc ont conduit à des querelles sur la définition de la frontière, que les Français ont en quelque sorte tracée par les Français en attribuant à l’Algérie un territoire traditionnellement contrôlé par des tribus fidèles à la monarchie marocaine. Ce désaccord, à son tour, s’est transformé en une série d’escarmouches frontalières, suivies d’une guerre ouverte en octobre 1963. Les combats, connus sous le nom de guerre du sable, se sont limités aux zones frontalières, mais ils ont entraîné des centaines de morts des deux côtés, qui ont également fait des centaines de prisonniers. En février 1964, après que d’autres parties aient fait plusieurs tentatives infructueuses de médiation, l’Organisation de l’unité africaine (OUA) a négocié un cessez-le-feu qui a laissé la frontière inchangée.
La guerre des sables, et la ferveur patriotique qu’elle a créée des deux côtés, a consolidé les deux États nouvellement indépendants et leurs régimes autoritaires respectifs, tout en « renforçant les deux armées dans leur nationalisme », comme l’a dit un historien marocain. En Algérie, elle a renforcé à la fois le pouvoir du président Houari Boumediene et l’ascendant de l’armée au sein du Front de libération nationale au pouvoir. Au Maroc, il a renforcé le règne du roi Hassan II.
La concurrence entre les deux nationalismes continuait d’avoir une composante idéologique. L’Algérie, qui se décrit comme une république socialiste autoproclamée qui n’était pas alignée pendant la guerre froide, s’est rapprochée diplomatiquement du bloc de l’Est tout en atteignant un certain degré d’indépendance économique grâce à ses richesses pétrolières et gazières. Le Maroc, en revanche, était une monarchie conservatrice avec une économie libérale, plus encline à l’Occident.
Au cours des 60 années suivantes, les deux pays ont connu des cycles de détente et de tension dans leurs relations. Le 15 juin 1972, ils ont signé un accord de démarcation des frontières reconnaissant l’inviolabilité des frontières de l’époque coloniale, un principe défendu par l’OUA sur tout le continent. Ils sont également convenus d’intensifier la coopération bilatérale dans tous les domaines et de soumettre tout différend en suspens à des commissions mixtes. Enfin, ils ont annoncé la création d’une société commune algéro-marocaine pour extraire du plomb et du zinc à El Abed à la frontière.
Mais la question du Sahara occidental a rapidement déclenché une crise majeure dans les relations bilatérales. En 1973, le Front Polisario – qui s’était formé cette année-là en Mauritanie pour demander l’indépendance au nom du peuple sahraoui du Sahara occidental – a commencé à se battre pour libérer le territoire de l’Espagne. Après le retrait de ses forces deux ans plus tard, la Mauritanie et le Maroc ont chacun repris des parties de l’ancienne colonie espagnole. Le Polisario a continué à combattre les deux et, bien qu’il n’ait aucun contrôle territorial, il a déclaré un État, la République arabe sahraouie démocratique, en 1976.
Citant son soutien au principe de l’autodétermination, et souhaitant affliger le roi Hassan II de ce que les Algériens appelaient parfois un « abcès de fixation », car il n’avait pas réussi à faire passer l’accord de démarcation de la frontière par le parlement marocain, Alger a reconnu la revendication du Polisario à un État. En signe de solidarité, il a expulsé 45 000 Marocains du territoire algérien, après quoi le Maroc a rompu ses relations diplomatiques. En 1979, la Mauritanie s’est retirée du Sahara occidental sous le feu du Polisario, laissant à Rabat le contrôle de la majeure partie de la zone contestée. Les actions du Maroc au Sahara occidental ont suscité de vives critiques de la part de l’OUA, ce qui l’a amenée à quitter l’organisation en 1984.
Ce n’est qu’en 1988 que l’Algérie et le Maroc ont rétabli leurs relations diplomatiques. Ils ont convenu d’intensifier les échanges commerciaux et de former l’Union du Maghreb arabe, qui reste la tentative la plus ambitieuse d’intégration régionale (bien qu’elle ait finalement échoué). Les ministres algérien et marocain de l’Energie ont également approuvé la construction d’un gazoduc reliant l’Algérie à l’Europe via le Maroc. Les frictions se sont également apaisées sur le front du Sahara occidental, alors qu’un plan de règlement de 1991 sous l’égide de l’ONU a introduit un cessez-le-feu et créé une zone tampon qui a divisé le territoire entre le Maroc (qui a été laissé sous le contrôle de 80%) et le Polisario. Depuis lors, une mission de l’ONU appelée MINURSO surveille la zone tampon, qui, selon les termes du cessez-le-feu, doit rester libre de soldats marocains ou de combattants du Polisario. L’ONU a également proposé un référendum d’autodétermination, dans lequel les habitants du territoire choisiraient l’absorption par le Maroc ou l’indépendance.

Le rapprochement [entre l’Algérie et le Maroc] s’est refroidi en 1994, à la suite d’une prise de bec sur une fusillade qui a tué deux touristes espagnols à l’hôtel Atlas-Asni à Marrakech.


Mais le rapprochement s’est refroidi en 1994, à la suite d’une prise de bec sur une fusillade qui a tué deux touristes espagnols à l’hôtel Atlas-Asni de Marrakech. Deux des hommes arrêtés pour l’attaque étaient des ressortissants français d’origine algérienne (le troisième était un Français d’origine marocaine). Le ministère marocain de l’Intérieur a accusé l’armée algérienne d’être à l’origine de l’attaque, et Rabat a rapidement commencé à exiger des visas d’entrée pour les ressortissants algériens au Maroc. L’Algérie a nié toute responsabilité, imposant ses propres exigences en matière de visas aux citoyens marocains et fermant sa frontière terrestre avec le Maroc.

Normalisation entre Algérie & Maroc par où la liquidation du dernier colonialisme en Afrique

Au cours des deux décennies suivantes, les deux pays ont progressivement repris leur coopération bilatérale dans certains domaines, notamment pour lutter contre la contrebande et le trafic de drogue. Ils ont finalement aboli l’obligation de visa d’entrée, mais sans ouvrir la frontière terrestre. Les relations sont restées tendues mais calmes.
L’idée du « grand Maroc » a refait surface à plusieurs reprises dans les médias marocains et parmi les responsables au cours des décennies qui ont suivi l’indépendance, généralement en référence à Béchar et Tindouf. Sa persistance a attisé les craintes algériennes que le Maroc nourrisse des ambitions expansionnistes, bien que Rabat ait finalement ratifié l’accord de démarcation de la frontière en 1992, vingt ans après la signature de l’accord. De leur côté, les Marocains rejettent les inquiétudes de leurs voisins comme de la paranoïa, affirmant que Rabat avait abandonné toute revendication sur l’Algérie ou d’autres territoires (à l’exception notable du Sahara occidental) depuis longtemps. Les deux États ont utilisé les tensions pour mobiliser le sentiment nationaliste parmi leurs citoyens respectifs, détournant ainsi l’attention des problèmes intérieurs découlant notamment d’un régime autoritaire et de mauvaises performances économiques.
Ce rapport se penche sur la dernière série de tensions entre Alger et Rabat, qui a débuté en août 2021 avec la décision de l’Algérie de suspendre ses relations diplomatiques avec le Maroc, et sur les facteurs qui sous-tendent la crise qui a suivi. Il examine les principaux facteurs contribuant au risque d’escalade de la violence, en mettant l’accent sur le conflit entre le Maroc et le Front Polisario. Ce conflit n’est toujours pas résolu, car le référendum d’autodétermination envisagé n’a jamais eu lieu et les deux parties ont durci leurs positions. (L’ONU continue d’inscrire le Sahara occidental sur la liste des territoires non autonomes.) Le rapport suggère des moyens pour les capitales occidentales de minimiser les incidents qui, bien qu’isolés à ce jour, pourraient dégénérer en une guerre armée. Il est basé sur des dizaines d’entretiens avec des responsables algériens et marocains, ainsi qu’avec des diplomates et des universitaires occidentaux, des journalistes, des chercheurs et des militants de la société civile d’Algérie et du Maroc. Environ 70 % des personnes interrogées étaient des hommes et le reste des femmes. Le rapport s’appuie également sur des déclarations officielles, des messages sur les réseaux sociaux et des publications antérieures de Crisis Group.

II. Un conflit gelé commence à se dégeler

Au cours des deux dernières décennies, le Maroc d’abord, puis l’Algérie se sont affirmés dans la poursuite de leurs priorités de politique étrangère, qui se heurtent parfois, conduisant à une animosité croissante entre les deux. Le principal point de discorde est le Sahara occidental, où le Maroc fait valoir sa revendication de souveraineté avec un succès croissant et où l’Algérie continue de soutenir le Front Polisario. La trêve de 1991 négociée par l’ONU s’est effondrée et, à divers moments depuis fin 2020, des échanges de tirs entre le Maroc et le Polisario ont menacé d’attirer l’armée algérienne. Mais il existe également d’autres sources de friction.

Un Maroc de plus en plus confiant
1.Tracer sa propre voie

Sous le roi Mohamed VI, dont le règne a débuté en 1999, le Maroc a tracé avec plus de confiance sa propre voie en matière de politique étrangère. Il est resté proche de ses mécènes occidentaux traditionnels, en particulier les États-Unis. En 2004, par exemple, il a commencé à accueillir les exercices militaires annuels African Lion dirigés par les États-Unis avec une série de partenaires de l’OTAN et africains. Pourtant, les responsables marocains ont également observé un glissement de l’hégémonie américaine vers un ordre mondial multipolaire dans lequel la Russie, la Chine et d’autres figureront en bonne place. Ils voient dans cette dynamique une plus grande marge de manœuvre dans leurs relations avec leurs interlocuteurs occidentaux.
Mohamed VI a cherché à diversifier les relations étrangères de Rabat, en développant des liens politiques et économiques avec la Chine et la Russie. En outre, par le biais de visites dans les capitales de l’Afrique subsaharienne, le roi a contribué à réparer les dommages causés à la réputation du Maroc par son entrée au Sahara occidental et son départ ultérieur de l’OUA. Cette offensive de charme a culminé avec la réadmission de Rabat en 2017 dans l’organisation qui a succédé à l’OUA, l’Union africaine (UA).

2. Une ligne plus dure à l’égard du Sahara occidental

Dans le même temps, Mohamed VI a soutenu une position de plus en plus dure sur le Sahara occidental. Depuis 1991, le Maroc avait nominalement accepté l’idée d’un référendum d’autodétermination parrainé par l’ONU. Le plébiscite n’a toutefois jamais eu lieu en raison de désaccords entre le Maroc et le Polisario sur la question de savoir qui devrait être autorisé à voter. Rabat doutait de plus en plus de la valeur du référendum et Mohamed VI décida de le débrancher. Dans un discours prononcé en 2002, le roi a commencé à exprimer son scepticisme, affirmant qu’un référendum était « irréalisable ». Cinq ans plus tard, le Maroc a officiellement retiré son soutien à l’entreprise, la remplaçant par un « plan d’autonomie » prévoyant une dévolution partielle des pouvoirs au Sahara occidental en tant que région sous souveraineté de Rabat. Le Polisario a rejeté le projet. L’Algérie a fait de même.
Ces réactions ont renforcé l’opinion du Maroc sur le Polisario en tant que mandataire algérien impliqué dans un différend artificiel qui devrait être résolu dans le cadre d’un grand marchandage régional sur les frontières et la sécurité. Dans le même ordre d’idées, M. Rabat s’attend à ce que les parties discutent de la question dans le cadre d’une table ronde avec l’Algérie et la Mauritanie. Deux tables rondes de ce type ont eu lieu en 2019, mais sans aboutir à une résolution, et le Maroc souhaite qu’elles se poursuivent. Le Polisario, soutenu par Alger, y a participé en 2019 ; il a été encouragé par l’implication renouvelée du Conseil de sécurité de l’ONU dans le conflit (qui était dû aux efforts personnels des États-Unis de l’époque. Conseiller à la sécurité nationale John Bolton). Mais en 2020, il s’est retiré, en raison de sa frustration face au processus de l’ONU, qu’il considère comme biaisé en faveur de Rabat et qu’il souhaite réinitialiser.
La question est aujourd’hui au cœur des relations extérieures du Maroc. Rabat est devenue de plus en plus intolérante à l’égard des acteurs extérieurs qui expriment leur sympathie pour l’autodétermination sahraouie, déclenchant des querelles diplomatiques – plus publiques que d’autres – avec l’Union européenne, l’Allemagne, l’Espagne, la Suède et la Tunisie. Dans un discours prononcé en août 2022, le roi a défini la question du Sahara occidental comme suit :
le prisme à travers lequel le Maroc envisage son environnement international et l’étalon qui mesure la sincérité des amitiés et l’efficacité des partenariats établis par le royaume.

Depuis 2019, Rabat a encouragé les gouvernements étrangers à ouvrir des consulats à Laâyoune et Dakhla au Sahara occidental pour marquer la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le territoire. Un certain nombre de pays d’Afrique, d’Amérique latine et du Moyen-Orient l’ont fait, témoignant du succès de la manœuvre marocaine.
Le Polisario a suivi ces développements avec une inquiétude croissante. De nombreux membres du mouvement ont fait valoir que la diplomatie internationale ne menait nulle part et ont appelé à un retour aux armes. Le point culminant est survenu fin 2020, lorsque des militants pro-Polisario (bientôt rejoints par un petit nombre de combattants du Polisario) ont installé un campement au milieu d’une route reliant le Maroc à la Mauritanie à travers le Sahara occidental et la zone tampon surveillée par l’ONU. Le Maroc a envoyé des troupes pour lever le blocus. Ces deux actions ont violé le cessez-le-feu, auquel le Polisario a renoncé le 14 novembre, donnant le début d’une série d’attaques contre les positions marocaines.
Mais le Maroc a remporté un triomphe diplomatique le mois suivant, lors des derniers jours de l’administration du président américain Donald Trump, lorsque les États-Unis ont reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental en échange de la normalisation des relations diplomatiques avec Israël. Pour Washington, il s’agissait d’une rupture avec des décennies de politique américaine soutenant un règlement négocié de la question du Sahara occidental. C’était aussi une décision quelque peu surprenante pour Rabat. Bien qu’il ait fait avancer l’agenda du Maroc en Afrique du Nord, de nombreux Marocains qui sympathisent avec la cause palestinienne étaient mécontents de voir leur gouvernement se rapprocher d’Israël. Mais cette décision n’a pas suscité suffisamment de résistance pour inquiéter les responsables. Un ancien diplomate marocain a expliqué que le royaume souhaite « diversifier ses liens avec le reste du monde ». … Il n’y a pas de tabou tant que cela correspond à nos intérêts nationaux ».

B. L’Algérie reprend ses droits
L’Algérie a également fait preuve de plus d’audace dans sa politique étrangère ces dernières années, en grande partie pour récupérer l’influence qu’elle pense devoir avoir alors qu’elle cherche à protéger l’Afrique du Nord et le Sahel de ce qu’elle considère comme une ingérence étrangère. Pendant des décennies après l’indépendance, l’Algérie a été largement considérée comme un leader des nations sortant de la domination coloniale, en particulier en Afrique et dans le monde arabe, et a été respectée pour sa longue lutte pour se débarrasser du joug français. Même après sa coûteuse guerre civile (1992-2002), il a conservé une influence considérable en Afrique du Nord et au Sahel alors qu’il se reconstruisait sous le président Abdelaziz Bouteflika. Mais son influence a décliné après que Bouteflika a subi un accident vasculaire cérébral en 2013. Il était souvent incapable de participer à la prise de décision, ce qui, dans le système politique hautement centralisé de l’Algérie, a plongé la politique étrangère dans une quasi-paralysie.
La bande passante de la politique étrangère de l’Algérie s’est encore réduite entre 2019 et 2021. Le mouvement pro-démocratie Hirak a organisé des manifestations de masse hebdomadaires qui ont poussé Bouteflika à démissionner en avril 2019. Pendant des mois, les autorités intérimaires, soutenues par l’armée, ont été occupées à gérer cette transition délicate. En décembre de la même année, Abdelmadjid Tebboune remporte la présidence, s’engageant dans une réorganisation du système politique par le biais d’une réforme constitutionnelle et de nouvelles élections législatives. Au cours des deux premières années de son mandat, il n’avait que peu de temps à consacrer aux affaires internationales.
En conséquence, selon les observateurs algériens, divers étrangers ont pu empiéter sur le territoire diplomatique historique de l’Algérie en Afrique du Nord et au Sahel, en particulier dans les pays voisins où des crises ont émergé. En Libye, la guerre épisodique entre deux gouvernements rivaux sur la période 2014-2020 a entraîné des interventions du Qatar et de la Turquie, d’un côté, et de la Russie et des Émirats arabes unis, de l’autre. Au Mali, l’expansion des groupes djihadistes a conduit à deux coups d’État (en 2020 et 2021), au départ des troupes françaises qui avaient aidé le gouvernement (en 2022) et à l’arrivée d’entrepreneurs de sécurité russes pour aider les nouvelles autorités militaires. Un diplomate algérien a déclaré que « d’autres acteurs ont essayé de combler le vide » laissé par l’échec des interventions occidentales, tandis que les problèmes internes de l’Algérie ont limité l’efficacité de sa propre politique étrangère. Les nouveaux liens d’Israël avec le Maroc sont une source de préoccupation supplémentaire, a déclaré un analyste algérien.
Tebboune a donc commencé à se recentrer sur les questions régionales alors que le mouvement Hirak perdait de son élan, en partie à cause des restrictions sur les rassemblements publics liées au COVID-19 et en partie à une répression gouvernementale plus sévère. Un diplomate algérien a expliqué que la politique étrangère
est une priorité pour le président, qui estime qu’il est grand temps pour l’Algérie de retrouver sa centralité sur différents dossiers et de revenir sur le devant de la scène de l’action diplomatique. Il croit en une diplomatie dynamique pour réaffirmer le rôle de l’Algérie en tant que partenaire incontournable en Afrique du Nord, au Sahel, dans le monde arabe et sur le continent africain.
L’armée a également joué un rôle actif dans la définition des priorités extérieures du pays. Tebboune s’adressait fréquemment au Haut Conseil de sécurité, composé du président, de ministres de premier plan et des officiers militaires de haut rang, pour prendre des décisions clés en matière de politique étrangère.

C. Turbulences diplomatiques
L’affirmation croissante des deux pays ne les a pas automatiquement mis sur une trajectoire de collision, malgré les nouvelles hostilités au Sahara occidental. En novembre 2020, après que le Maroc et le Polisario ont recommencé à se tirer dessus, plutôt que de rejeter la faute sur l’un ou l’autre camp, l’Algérie a appelé les deux pays à « faire preuve de sens des responsabilités et de retenue » et à respecter le cessez-le-feu.44
Mais la normalisation des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël un mois plus tard a provoqué un tollé en Algérie. Les autorités ont rapidement dénoncé le Maroc pour avoir pris cette mesure. Le 12 décembre, le Premier ministre Abdelaziz Djerad a déclaré : « Nous sommes entourés de danger et de guerre. Il y a un désir d’amener l’entité sioniste à côté de nos frontières ».46 Un diplomate algérien a ajouté :
L’Algérie n’acceptera jamais la présence d’Israël à ses frontières, même symboliquement, et nous savons que dans ce cas, il ne s’agit pas seulement d’une présence symbolique. Le roi [marocain] a introduit un ennemi dans notre voisinage.

Dans les mois qui suivent, une série d’incidents diplomatiques alimente les tensions. En juillet 2021, après que le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, a réitéré le soutien de son pays au droit du Sahara occidental à l’autodétermination lors d’une réunion du Mouvement des non-alignés, l’ambassadeur du Maroc à l’ONU, Omar Hilale, a déclaré que la Kabylie, la région algérienne à majorité berbère parfois agitée, avait le même droit. Alger rejette cette idée ; deux mois plus tôt, le Haut Conseil de sécurité avait interdit le Mouvement pour l’autodétermination de Kabylie (MAK) en tant qu’organisation terroriste. Quelques jours après l’allocution de Hilale, l’Algérie a rappelé son ambassadeur de Rabat. «  Le Maroc a attaqué notre intégrité territoriale avec cette référence à la Kabylie  », a déclaré un diplomate algérien. « Nous nous attendions à une rectification de la part des autorités, mais elle n’est jamais venue ».
Plus tard en juillet, un consortium international de journalistes a allégué que le Maroc avait utilisé le logiciel espion Pegasus de fabrication israélienne pour intercepter les communications de quelque 6 000 responsables algériens. Le ministère algérien des Affaires étrangères a condamné ce qu’il a qualifié de « pratique illégale, indésirable et dangereuse [qui] met en péril le climat de confiance qui devrait régir les échanges et les interactions entre responsables et représentants des États ». Le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, a nié que le Maroc ait fait ce qui lui était reproché, affirmant que l’enquête journalistique était basée sur des suppositions.
À la fin du mois, Mohamed VI a tenté de tendre un rameau d’olivier à Alger. Dans un discours, le roi a offert des garanties de non-ingérence dans les affaires intérieures de l’Algérie. Un diplomate marocain a expliqué : «  Le Maroc ne veut pas d’escalade, c’est pourquoi le roi a proposé un dialogue sans conditions préalables  ». Pourtant, les responsables algériens ont estimé que le message du roi n’était pas suffisamment clair, estimant qu’il éludait les questions au cœur de la querelle, à savoir la remarque d’Hilale sur la Kabylie et l’espionnage présumé.
Les tensions sont montées d’un cran en août 2021, lorsque le ministre israélien des Affaires étrangères Yair Lapid s’est rendu à Rabat et a déclaré sa « préoccupation concernant le rôle régional de l’Algérie, qui s’est alignée sur l’Iran et mène actuellement une campagne contre l’admission d’Israël dans l’Union africaine en tant qu’observateur ». Israël cherchait depuis longtemps ce statut pour étendre sa portée et sa légitimité en Afrique, et le président de la Commission de l’UA, Mahamat Faki, l’a accordé en 2021. Plusieurs États membres de l’UA, l’Algérie et l’Afrique du Sud en tête, se sont opposés à la décision, qui reste suspendue dans l’attente de son examen par un groupe de dirigeants africains. Réagissant aux remarques de Lapid, un diplomate algérien s’est exclamé : « Un ministre israélien attaquant un pays arabe depuis la capitale d’un autre pays arabe – c’est du jamais vu ! »

Rien ne prouve que les contacts entre l’Algérie, le Polisario, l’Iran et le Hezbollah aillent au-delà des échanges diplomatiques.

Alger était frustré pour d’autres raisons également. Un journaliste algérien a évoqué une opinion algérienne largement répandue selon laquelle Rabat aurait diffusé dans les médias occidentaux un récit sur « un rapprochement entre le Hezbollah, le Polisario et le groupe Wagner au Sahara occidental ».60 De telles idées se sont répandues dans les cercles politiques, en particulier en Israël et parmi les groupes de réflexion américains de droite, bien qu’il n’y ait aucune preuve que les contacts entre l’Algérie, le Polisario, l’Iran et le Hezbollah aillent au-delà des échanges diplomatiques. Alger soutient que la notion est inexacte et qu’il s’agit d’une tentative de l’isoler au Moyen-Orient en l’associant à ce que beaucoup considèrent comme des acteurs voyous. À la suite des commentaires de Lapid, les autorités d’Alger ont accusé Rabat de collusion avec le MAK pour porter atteinte à la sécurité nationale de l’Algérie. Le 18 août, le Haut Conseil de sécurité a affirmé que le Maroc et le MAK étaient à l’origine des incendies de forêt qui avaient fait rage en Kabylie ce mois-là, ainsi que du meurtre de Djamel Bensmail, un militant de gauche accusé d’avoir déclenché les incendies puis brûlé vif par une foule en colère. Le MAK a nié ces allégations, tandis que le Maroc s’est abstenu de tout commentaire officiel.
Ces événements ont constitué la toile de fond de la décision de l’Algérie de suspendre ses relations diplomatiques avec le Maroc. Le 24 août 2021, Lamamra a publié une longue déclaration annonçant cette décision, qui, selon lui, découle de quatre principes qui sous-tendent le précédent rapprochement avec Rabat. Ces principes impliquaient un engagement commun en faveur de la coopération ; le respect de tous les traités bilatéraux antérieurs ; œuvrer à la construction d’une union politique nord-africaine ; et la défense du droit des Palestiniens à un État. Lamamra a déclaré que le Maroc avait bafoué les quatre en incitant au séparatisme en Kabylie, en espionnant des responsables algériens, en permettant à un responsable israélien d’attaquer verbalement l’Algérie depuis le territoire marocain et en frustrant les efforts de médiation de l’ONU au Sahara occidental, entre autres choses. Rabat a exprimé sa surprise face à la décision de couper les liens, un diplomate marocain la qualifiant de « décision unilatérale » injustifiée.
L’Algérie a pris de nouvelles mesures pour exprimer son mécontentement. En septembre 2021, le Haut Conseil de sécurité a décrété la fermeture immédiate de l’espace aérien algérien aux avions civils et militaires marocains. En octobre, le président Tebboune a ordonné à la compagnie publique d’hydrocarbures Sonatrach de ne pas renouveler son contrat avec le Maroc expirant à la fin du mois, coupant ainsi l’approvisionnement en gaz naturel via le gazoduc Maghreb Europe Gas qui relie l’Algérie à l’Espagne via le Maroc.

D. Affrontements et course aux armements
Les relations allèrent rapidement de mal en pis, bien que la détérioration ne dépassa pas de devenir un conflit à part entière. Le 3 novembre 2021, l’Algérie a annoncé que trois de ses ressortissants avaient été tués lors d’une frappe aérienne au Sahara occidental, alors qu’ils conduisaient des camions le long de la route reliant Ouargla, en Algérie, à Nouakchott, la capitale mauritanienne. L’Algérie a accusé le Maroc et a juré de se venger. Une enquête ultérieure de la MINURSO a déclaré que les décès avaient été « causés par l’explosion d’un projectile air-sol et l’incendie qui en a résulté », mais n’a pas attribué de responsabilité. La retenue mutuelle a empêché une escalade dangereuse. Les responsables marocains ont nié tout lien avec l’incident et ont clairement indiqué que Rabat ne voulait pas de guerre avec l’Algérie. L’Algérie s’est abstenue de riposter, malgré ses déclarations antérieures, et a envoyé des messages au Secrétaire général de l’ONU, au Président de la Commission de l’UA, au Secrétaire général de la Ligue arabe et au Secrétaire général de l’Organisation de la coopération islamique pour dénoncer un acte de « terrorisme d’État ».
Bien que les voisins aient réussi à éviter la guerre, la situation ne s’est pas améliorée. La coopération militaire croissante du Maroc avec Israël a continué d’alimenter la perception de la menace algérienne. En novembre, le ministre israélien de la Défense Benny Gantz a signé un protocole d’accord avec son homologue marocain, officialisant le partage de renseignements, établissant des liens entre les industries d’armement des deux pays et ouvrant la voie à des exercices militaires conjoints. C’était le premier accord de ce type entre Israël et un pays arabe. Des responsables à Alger ont déclaré que l’accord visait à affaiblir l’Algérie.
Dans ce contexte, les deux pays ont commencé à se préparer à la possibilité que leur différend puisse dégénérer en conflit armé. Les deux camps ont augmenté leurs dépenses militaires. Le Maroc a acheté le système anti-drone israélien Skylock Dome en novembre et ses drones Harop en décembre. En février 2022, elle a en outre acquis Barak MX, un système modulaire de fabrication israélienne qui peut abattre à la fois des missiles et des drones. Enfin, en avril 2023, le département d’État américain a approuvé la vente de dix-huit lance-roquettes multiples HIMARS américains, ainsi que d’autres équipements militaires, au Maroc.
L’Algérie s’est empressée de suivre le rythme de ces achats. En novembre 2022, le parlement algérien a approuvé une augmentation stupéfiante du budget militaire 2023 à environ 23 milliards de dollars, contre environ 11 milliards de dollars l’année précédente. Fin 2022, les médias locaux ont indiqué que les autorités se préparaient à acheter à la Russie des avions furtifs Su-57, des bombardiers SU-34 et des chasseurs Su-30, en plus de nouveaux systèmes de défense aérienne, tels que le S-400.79 Pour diversifier ses sources d’armement, l’Algérie s’est tournée vers la Turquie pour l’achat de drones Anka S+ et vers la Chine pour l’acquisition de drones Halcon, pour ne citer que deux exemples.
Ces virées shopping ont attisé les craintes des deux côtés, exacerbant encore les tensions. « Les acteurs internationaux doivent reconnaître leur rôle », a fait valoir un analyste occidental. En vendant des armes à l’Algérie, au Maroc ou aux deux, les puissances extérieures contribuaient à une course aux armements qui risquait de modifier l’équilibre des forces.

E. La poudrière du Sahara occidental
Pendant ce temps, la situation au Sahara occidental a continué de s’envenimer, contribuant au risque d’une confrontation directe entre les deux voisins. Depuis fin 2020, le Polisario et le Maroc sont engagés dans une guerre d’usure de basse intensité que, jusqu’à présent, personne n’a fait d’effort pour arrêter. Le Conseil de sécurité de l’ONU est resté silencieux pendant des mois après l’effondrement du cessez-le-feu, en dents de scie entre les deux parties (le Polisario voulait que des acteurs extérieurs interviennent, tandis que le Maroc s’y opposait). Plusieurs membres ont estimé que le conflit était suffisamment contenu pour que le Conseil n’ait pas besoin d’agir.
Pendant ce temps, les parties continuent d’être en désaccord sur les termes d’une éventuelle reprise des négociations dirigées par l’ONU. Le Polisario a insisté pour reprendre les pourparlers bilatéraux qui ouvriraient la voie à un référendum d’autodétermination, sur le modèle du Plan de règlement de l’ONU de 1991. En revanche, Rabat s’en est tenue à son plan d’autonomie, avec le format de table ronde adopté par les partis en 2019. Au milieu de cette impasse, le Polisario a commencé à subir des pressions croissantes de la part de ses militants, en particulier des plus jeunes, pour intensifier son activité militaire. Nombreux sont ceux qui considèrent que la tactique du Front jusqu’à présent est insuffisante pour forcer le Maroc à accepter un référendum.
Encouragé par ces électeurs agités, le Polisario a parfois expérimenté une approche plus conflictuelle. En août 2022, lorsqu’une frappe de drone marocain présumée a détruit un camion du Polisario utilisé pour transporter de l’eau vers les postes de la MINURSO dans la zone tampon, le Front a suspendu ses convois vers ces sites, n’autorisant que deux vols de réapprovisionnement par hélicoptère par mois. Par cette action, il a cherché à signaler que, sans cessez-le-feu en place et sans pourparlers en cours, la mission de l’ONU n’était plus apte à remplir son objectif. Le Polisario espérait ainsi inciter les puissances extérieures à s’intéresser plus activement à la résolution du conflit, plutôt que de se contenter du statu quo.
Ce faisant, cependant, il a déclenché une série d’actions qui auraient pu aboutir à un conflit entre le Maroc et l’Algérie. Le premier lien a été que, alors que ses réserves de carburant et de denrées alimentaires commençaient à s’épuiser, la MINURSO a averti qu’elle pourrait devoir se retirer. Hilale, l’ambassadeur de Rabat à l’ONU, a répondu en affirmant que si la mission venait à se dissoudre, alors le Maroc « aurait le droit de récupérer la partie du Sahara qui a été cédée [par le Maroc] à la MINURSO », c’est-à-dire la zone tampon. Dans ce scénario, les troupes marocaines prendraient position le long de la frontière entre le Sahara occidental et l’Algérie, près de Tindouf, site de camps de réfugiés sahraouis en Algérie abritant environ 173 000 réfugiés. Là-bas, ils seraient exposés aux attaques du Polisario depuis le territoire algérien, ce qui pourrait à son tour inciter Rabat à invoquer un droit de poursuite, pouvant conduire à des affrontements entre troupes algériennes et marocaines.
Le risque d’une telle confrontation a poussé les États-Unis à l’action. Les responsables américains ont fait pression sur l’Algérie pour qu’elle convainc le Polisario de lever le blocus des postes de la MINURSO. Finalement, en avril 2023, le Polisario a accepté d’assurer un « passage sûr, à titre exceptionnel et provisoire » aux convois ravitaillant la mission. Elle n’a cessé de renouveler cette mesure « provisoire » jusqu’à ce jour.

À deux reprises... Des unités du Polisario ont tiré des roquettes sur la ville de Smara, au Sahara occidental sous contrôle marocain.

Deux autres incidents ont créé des points chauds potentiels quelques mois plus tard. À deux reprises, fin octobre et début novembre 2023, des unités du Polisario ont tiré des roquettes sur la ville de Smara, au Sahara occidental sous contrôle marocain. Dans le premier cas, ils ont visé une zone résidentielle, et dans le second, ils ont visé l’aéroport local. Les attaques ont eu lieu juste avant et juste après le vote annuel du Conseil de sécurité de l’ONU visant à renouveler le mandat de la MINURSO. Ils sont également intervenus dans un contexte de tensions régionales accrues après l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023 et l’assaut de représailles d’Israël contre Gaza. Les roquettes ont tué un ressortissant franco-marocain, la première victime civile du côté de Rabat depuis la reprise des hostilités en 2020, s’attirant une forte condamnation de l’ambassadeur Hilale, qui a rejeté la faute non seulement sur les militants du Polisario mais aussi sur « ceux qui les soutiennent, ceux qui les abritent et ceux qui leur fournissent des missiles, des Katioucha et des mortiers ». C’était une large allusion à l’implication de l’Algérie.
Une fois de plus, la retenue mutuelle et la pression des États-Unis ont permis de contenir les incidents. L’Algérie n’a pas commenté l’accusation à peine voilée de Hilale, tandis que le Maroc a limité ses représailles à une série de frappes de drones contre des unités du Polisario à l’intérieur de la zone tampon. En décembre, Washington a envoyé le sous-secrétaire d’État adjoint Joshua Harris à Alger et à Rabat, où il a délivré un message qu’un diplomate américain a résumé comme suit : «  S’il vous plaît, calmez-vous ; vous devez éviter une escalade  ».
Pourtant, les tensions entre la direction du Polisario et les militants au sujet du refus du Front d’intensifier les attaques contre le Maroc ont continué de couver sous la surface. En février 2024, le représentant du Polisario auprès de l’UE, Mansour Omar, a articulé le dilemme du mouvement dans une interview franche :
Les pays du Maghreb et du Sahel sont dans une situation instable. Il y a eu des coups d’État dans les pays voisins. … Nous devons défendre nos droits, mais faire preuve de beaucoup de prudence, afin que ce conflit ne dégénère pas en une guerre ouverte avec de plus grandes dimensions et donc de plus grandes pertes.

Dans une rare manifestation publique de dissension au sein du Polisario, les militants ont dirigé un torrent de critiques contre Omar en ligne.

F. L’animosité se propage aux médias sociaux et à la société
En Algérie comme au Maroc, des voix fortes dans les médias traditionnels et sociaux ont adopté un ton agressif envers l’autre pays. Les plateformes de médias sociaux ont vu la désinformation, le harcèlement et la propagande se propager rapidement. Depuis 2017, un réseau de comptes d’extrême droite marocains s’identifiant sous le nom de « Maures » a émergé sur Twitter/X, Facebook et, dans une moindre mesure, d’autres plateformes. Les publications sur ces comptes dénigrent les journalistes indépendants, les féministes et les militants de gauche pour leurs idées, tout en glorifiant parfois la violence contre le Front Polisario et l’Algérie. On ne sait pas qui se cache derrière « Marorish ». Mais un chercheur européen a déclaré : « Il semble qu’il y ait quelqu’un qui dirige ce mouvement d’en haut. Par exemple, certains des pseudos Twitter appartiennent à des personnes proches de certains diplomates. Un certain nombre de journalistes marocains soupçonnent les services de renseignement d’être à l’origine du réseau, mais ils ne peuvent fournir aucune preuve à l’appui de cette affirmation.
Les faux comptes semblent jouer un rôle considérable dans l’hostilité du public. En février 2021, Meta a supprimé 385 comptes Facebook et 40 comptes Instagram qui, ensemble, comptaient environ 150 000 abonnés, au motif d’un « comportement inauthentique coordonné ». Selon Meta, ces comptes, originaires du Maroc, avaient publié « des éloges pour la réponse du gouvernement à la pandémie de coronavirus, ses initiatives diplomatiques, les forces de sécurité marocaines, le roi Mohammed VI et le directeur de la Direction générale de la surveillance du territoire ».
Un journaliste marocain a noté la diffusion croissante des points de discussion « maures » dans la société : « Tous les jours, j’entends des gens dans la rue utiliser la rhétorique « mauresque ». Il y a une obsession collective pour l’Algérie ». Un autre journaliste marocain a qualifié le réseau « maure » de version du monstre de Frankenstein, autrefois contrôlé par son créateur (que ce journaliste a supposé être l’État), mais qui a depuis pris sa propre vie.
L’offensive en ligne des « Maures » semble avoir provoqué un phénomène en miroir en Algérie. Parfois appelés « Dzoorish », un mot-valise du domaine Internet algérien .dz pour l’Algérie et « Maures », ces comptes diffusent des mèmes hostiles et de la désinformation visant leurs homologues marocains. Le résultat, a déclaré un chercheur européen, est « une guerre pour gagner, ou faire taire, les cœurs et les esprits. … Il s’agit d’une véritable course aux armements entre deux armées qui utilisent la violence aveugle en ligne.
Les discours de haine et les insultes ne se limitent pas aux échanges en ligne. En janvier 2024, après l’élimination par l’Afrique du Sud du Maroc de la Coupe d’Afrique des Nations de football, des masses d’Algériens sont descendues dans la rue pour célébrer, scandant des slogans racistes tels que : « Donnez-leur des bananes. Les Marocains sont des animaux ». L’épisode a choqué les Marocains, incitant un journaliste à écrire que « le poison de la haine s’est propagé d’une minorité active à des segments entiers de la population [algérienne] ».

    • III. Le rôle des acteurs externes

Un. Les États-Unis tentent de contenir le risque
Lorsque le président Joe Biden est entré à la Maison Blanche en janvier 2021, son administration a hérité de Donald Trump la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Plutôt que de lutter contre cet héritage (qui aurait tendu les relations avec le Maroc et Israël), l’administration Biden a soigneusement recalibré la position de Washington pour éviter toute référence à la souveraineté marocaine. Jusqu’à présent, il n’a pas tenu la promesse de Trump d’ouvrir un consulat américain à Dakhla (Sahara occidental). Il a également abandonné la référence de son administration au plan d’autonomie comme « la seule base » pour résoudre le conflit, le qualifiant plutôt d’« approche potentielle » pour régler le différend. Cet exercice d’ambiguïté semble viser à apaiser l’Algérie et le Polisario, mais sans irriter le Maroc en revenant sur l’action de Trump.
En ce qui concerne ses efforts diplomatiques, l’administration Biden s’est d’abord concentrée sur la nomination d’un nouvel envoyé de l’ONU pour le Sahara occidental. Le nouvel envoyé, Staffan de Mistura, a pris ses fonctions en novembre 2021. Après avoir contribué à sa mise en place, Washington a renouvelé son engagement avec l’Algérie et le Maroc pour tenter de contenir les tensions bilatérales croissantes. Les diplomates tentaient de trouver un équilibre entre deux objectifs apparemment contradictoires : rétablir la confiance avec l’Algérie et le Polisario, qui avait été endommagée par la reconnaissance par Trump de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, tout en maintenant des liens traditionnellement forts entre les États-Unis et le Maroc. Un responsable américain a expliqué l’approche de Washington comme étant « délibérée dans l’investissement en Algérie et au Maroc. Nous cherchons des moyens d’apaiser les tensions, car les conditions ne sont pas encore réunies pour faciliter une amélioration de leurs relations ».

Pour la première fois, les responsables américains ont fait miroiter la perspective de consultations officielles avec le Polisario.

Au fur et à mesure que les États-Unis s’engageaient davantage avec leurs voisins, certains domaines d’intérêt ont émergé. Dans le cas de Rabat, Washington a continué à cultiver des liens par le biais d’échanges diplomatiques réguliers et d’une coopération en matière de sécurité, y compris des ventes d’armes. Avec l’Algérie, les responsables américains se sont concentrés sur le rétablissement du dialogue qui avait été interrompu sous l’administration Trump. Un diplomate américain a décrit cet effort comme étant centré sur les liens économiques. En outre, les responsables américains ont pour la première fois fait miroiter la perspective de consultations officielles avec le Polisario. En septembre 2023, la sous-secrétaire adjointe Harris a rencontré des responsables du Front à Tindouf, les encourageant à dialoguer avec de Mistura et à relancer les négociations. Il semblait que c’était la première fois qu’un responsable américain de ce rang consultait le Polisario sur la situation politique à Tindouf, car dans le passé, les responsables américains ne discutaient normalement que des questions humanitaires lors de leurs visites. Washington a évité de définir les termes de nouveaux pourparlers, laissant cette tâche à l’envoyé de l’ONU. Le calcul semblait être que la reprise des négociations serait un moyen peu coûteux de gérer les tensions entre le Maroc, le Polisario et l’Algérie.
L’Algérie et le Polisario ont salué ce nouvel engagement de l’administration Biden, choisissant d’ignorer la déclaration de Trump sur le Sahara occidental. La reconnaissance de Trump a eu lieu après qu’il ait perdu les élections, ce qui les a incités à ne pas en tenir compte. L’Algérie et le Polisario s’attendaient à ce que l’administration Biden rétablisse finalement la position américaine de longue date. Ces gestes de bonne volonté ont suffi à contenir les tensions, mais ils n’ont pas suffi à créer une dynamique pour la reprise des pourparlers sur le Sahara occidental.

B. Une Europe divisée sous la pression des deux côtés
En revanche, les gouvernements européens ont eu du mal à maintenir des relations de travail avec Alger et Rabat, car les deux capitales étaient engagées dans une concurrence à somme nulle. L’Espagne et la France offrent des exemples de cas.
Les incursions de l’Espagne illustrent la situation difficile à laquelle sont confrontés les gouvernements européens. Madrid a déclenché une prise de bec majeure avec Rabat lorsque, en avril 2021, il a admis le chef du Polisario, Brahim Ghali, pour un traitement dans un hôpital de Logroño, dans le nord de l’Espagne. Affirmant que Madrid aurait dû l’informer à l’avance, Rabat a suspendu ses relations diplomatiques en signe de protestation. Les tensions ont atteint leur paroxysme plus tard dans le mois, lorsque le Maroc aurait autorisé 9 000 migrants à entrer dans l’enclave espagnole de Ceuta, sur la côte nord-africaine. Les forces espagnoles ont sommairement rassemblé les migrants et le contrôle des frontières marocaines a empêché l’entrée de nouveaux migrants en quelques jours.
Pourtant, cette tactique a clairement attiré l’attention de l’Espagne. En 2022, le gouvernement espagnol a décidé de réparer ses relations avec le Maroc. Dans une lettre adressée en mars 2022 au roi Mohamed VI, le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez a approuvé le plan d’autonomie du Maroc comme « la base la plus sérieuse, réaliste et crédible » pour résoudre le conflit du Sahara occidental. Ce faisant, Sanchez a abandonné la posture traditionnelle de « neutralité active » de l’Espagne, qui consistait à plaider pour une « solution juste, durable et mutuellement acceptable » à la situation sans préciser de quoi il s’agissait. Le langage de la lettre de mars est allé plus loin dans l’adoption de la position du Maroc que tout autre gouvernement occidental (même les États-Unis) ne l’avait fait à l’époque, créant un précédent que Rabat espérait convaincre d’autres pays de suivre. En retour, Rabat rétablit ses liens avec Madrid.
Mais la nouvelle position de l’Espagne sur le plan d’autonomie a eu d’autres conséquences. Il pousse Alger à rappeler son ambassadeur de Madrid et à introduire des restrictions sur le commerce bilatéral. Du point de vue de l’Algérie, la formulation de l’Espagne dans la lettre de Sanchez risquait de préconditionner les futures discussions sur le Sahara occidental à l’acceptation du plan d’autonomie comme seule voie vers la résolution du conflit. La position de l’Algérie, telle qu’elle a été formulée par un diplomate algérien, était que « la décision finale doit rester entre les mains du peuple sahraoui ». Les tensions hispano-algériennes se sont progressivement apaisées après que Sanchez a réitéré le soutien de l’Espagne aux efforts de médiation de l’ONU au Sahara occidental en septembre 2022. En novembre 2023, Alger a nommé un nouvel ambassadeur à Madrid.
Alors que le Maroc attendait de son partenaire traditionnellement proche qu’il ajuste sa position, la France a calculé qu’un tel changement saperait ses liens avec l’Algérie.
La France s’est également retrouvée sous la pression des deux pays. Ses relations avec Rabat s’étaient détériorées au cours des années 2021 et 2022 en raison d’une série d’incidents, notamment sa décision de réduire le nombre de visas pour les visiteurs marocains et des allégations selon lesquelles Rabat aurait utilisé le logiciel espion Pegasus pour surveiller les conversations des responsables français. Mais la plus grande source de friction reste le refus de la France de modifier son langage sur le plan d’autonomie, qu’elle continue de décrire comme « une base de discussion sérieuse et crédible », une formule qui n’a pas égalé celle de l’Espagne aux yeux de Rabat. Alors que le Maroc s’attendait à ce que ce partenaire traditionnellement proche ajuste sa position, la France a calculé qu’un tel changement saperait ses liens avec l’Algérie.
La France cherche à renforcer ces liens. À la suite d’une visite du président Emmanuel Macron à Alger en août 2022, la France s’est efforcée de parvenir à un rapprochement progressif avec l’Algérie, considérant que le renforcement des liens avec Alger était essentiel à la mise en place d’arrangements politiques et sécuritaires appropriés au Sahel après la fin de sa mission militaire, l’opération Barkhane, en novembre 2022 et la série de coups d’État dans la région. Pourtant, une série de désaccords sur la façon de faire face au passé colonial, ainsi que sur la militante de l’opposition franco-algérienne Amira Bouraoui, qui avait échappé aux poursuites en Algérie en fuyant vers la France en février 2022, ont fait que la réconciliation n’a progressé que lentement.
Frustré et sous la pression du Maroc, le président Macron a choisi de rapprocher la France du royaume. En juillet 2024, Paris a adopté un langage encore plus fort que celui de Madrid sur le plan d’autonomie du Maroc, déclarant qu’il s’agissait de « la seule base » pour régler le conflit du Sahara occidental. L’Algérie a rappelé son ambassadeur de Paris en réponse.

C. La position de l’UE
Les efforts de l’UE pour trouver un équilibre entre Alger et Rabat ont été façonnés en partie par des procédures judiciaires. Rabat a longtemps gardé un œil sur une affaire menée par le Polisario devant la Cour de justice de l’UE qui remet en question la validité de l’inclusion du Sahara occidental dans les traités commerciaux entre l’UE et le Maroc. En septembre 2021, le tribunal a donné raison à l’affirmation du Polisario selon laquelle l’UE et le Maroc avaient signé des accords sur la pêche et les produits agricoles sans le consentement de la population du Sahara occidental. Le jour du verdict, le haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, a publié une déclaration avec le ministre marocain des Affaires étrangères, M. Bourita, soulignant leur intention de continuer à travailler ensemble. Les responsables de l’UE ont souligné qu’ils se conformeraient à la décision de la Cour. Le communiqué conjoint, ont-ils dit, n’était qu’une tentative de protéger la relation bilatérale de ses effets. En octobre 2024, la Cour a confirmé sa position antérieure dans une décision finale, incitant l’UE et les États membres à réaffirmer leur volonté de préserver leurs liens avec le Maroc.
En parallèle, l’UE tente de relancer ses relations avec Alger après une période de désengagement alors que les responsables algériens étaient préoccupés par la stabilité intérieure. Après l’élection de Tebboune, l’Algérie a signalé son intention d’intensifier les échanges diplomatiques avec l’UE. Lors d’une visite à Alger en mars 2023, M. Borrell a souligné l’engagement de l’UE à approfondir les liens avec l’Algérie et a tenté de désamorcer les problèmes de Madrid avec Alger. Ses déclarations n’ont fait aucune mention du Sahara occidental ou des tensions avec le Maroc. Pourtant, en signe d’irritation vis-à-vis de l’Europe, quelques jours après le verdict de la Cour de justice de l’UE d’octobre 2024 et les déclarations européennes de soutien au Maroc, le ministère algérien des Affaires étrangères a convoqué les ambassadeurs d’un certain nombre d’États membres de l’UE, exigeant des explications sur ces déclarations.

      • IV. La rivalité s’étend à l’Afrique

Un. Compétition algéro-marocaine en Afrique du Nord et au Sahel
Le différend entre l’Algérie et le Maroc s’est étendu à l’Afrique subsaharienne, en particulier au Sahel. L’Algérie est impliquée dans les tentatives de réconciliation entre le gouvernement malien et les insurgés touaregs dans le nord du Mali depuis les années 1990. En 2015, Alger a négocié un accord pour mettre fin à ce conflit, s’aliénant les membres de l’establishment malien qui pensaient que l’accord avait affaibli l’autorité de l’État central dans le nord, bien qu’Alger ait continué à être impliqué dans les efforts visant à sécuriser cette région. Après le coup d’État de 2021 au Mali, les relations de Bamako avec Alger ont commencé à se détériorer. En décembre 2023, l’Algérie a tenté de relancer l’accord de paix de 2015 en invitant plusieurs signataires, dont un chef religieux malien critique des nouvelles autorités de Bamako, à des pourparlers. Les responsables maliens ont dénoncé cette initiative comme étant inamicale, ce qui a incité les deux pays à rappeler leurs ambassadeurs. Parallèlement, le gouvernement malien a continué à consolider son contrôle du nord avec l’aide d’armes russes et d’entrepreneurs privés. En janvier 2024, le Mali a abrogé l’accord de 2015, accusant officiellement l’Algérie d’ingérence, et les tensions algéro-maliennes se sont encore accrues dans les mois qui ont suivi.
Entre-temps, le coup d’État de juillet 2023 au Niger a renforcé l’inquiétude de l’Algérie quant à la sécurité au Sahel. Après que l’armée a chassé le président Mohamed Bazoum du pouvoir, le bloc régional de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest a imposé des sanctions à Niamey, exigeant que la junte rétablisse l’ordre constitutionnel ou qu’elle fasse face à la perspective que les voisins du Niger le fassent par la force.
Craignant une intervention militaire à ses frontières, l’Algérie a envoyé une proposition de médiation au Niger en octobre 2023, suggérant une transition de six mois, dirigée par des civils, menant au rétablissement de la constitution précédente. Mais la confusion a suivi, car Alger a d’abord affirmé que Niamey avait accepté l’offre, avant d’être contredit quelques jours plus tard par les autorités militaires nigériennes, après quoi l’initiative a échoué. Les deux capitales étaient à nouveau à couteaux tirés en avril 2024, lorsque Niamey a protesté contre la décision algérienne d’expulser les migrants en situation irrégulière (dont de nombreux citoyens nigériens) vers le Niger, les déposant à la frontière. En août, le Premier ministre nigérien s’est rendu à Alger, ce qui a permis d’apaiser quelque peu les tensions.
Le Maroc a profité des tensions entre l’Algérie et ses voisins sahéliens pour renforcer ses propres liens au Sahel. En novembre 2023, le roi Mohamed VI a annoncé une « initiative atlantique », proposant la construction d’une autoroute entre les pays sahéliens et le port de Dakhla, au Sahara occidental sous contrôle marocain. Le mois suivant, les ministres des Affaires étrangères du Burkina Faso, du Tchad, du Mali et du Niger ont rencontré le ministre des Affaires étrangères Bourita à Marrakech pour discuter des détails de cette proposition. Un ancien diplomate marocain a déclaré : « Dans un contexte d’impasse totale au Maghreb, il est tout naturel que le Maroc cherche des alternatives, par exemple au Sahel ».

[L’Algérie] a accusé le Maroc de conspirer avec Israël et les Émirats arabes unis pour l’isoler diplomatiquement.

L’Algérie a semblé n’être pas d’accord avec ces mesures. Il a accusé le Maroc de conspirer avec Israël et les Émirats arabes unis pour l’isoler diplomatiquement, parce qu’il s’est opposé aux accords d’Abraham normalisant les relations entre Israël et les États arabes du Golfe (tout comme il s’est opposé à l’initiative du Maroc dans cette direction). Le 10 janvier 2024, le Haut Conseil de sécurité de l’Algérie a exprimé ses « regrets concernant les actions hostiles à l’égard de l’Algérie émanant d’un pays arabe frère », une référence indirecte aux Émirats arabes unis. Selon un responsable algérien, « Avec Israël et les Émirats, ils [le Maroc] veulent déstabiliser la région ». Tout au long de l’année 2023 et 2024 à ce jour, les médias algériens ont accusé les Émirats arabes unis de financer des campagnes médiatiques au Sahel, de dénigrer l’Algérie et de soutenir le coup d’État au Niger.
Peu de temps après, Alger a lancé sa propre initiative de coopération régionale pour isoler le Maroc en Afrique du Nord. En avril 2024, Tebboune et le président du Conseil présidentiel libyen ont rencontré le président tunisien à Tunis, où ils ont convenu de renforcer la collaboration et d’améliorer la sécurité aux frontières. Officiellement, le cadre n’exclut aucun pays, mais il s’agissait probablement d’une décision intentionnelle de ne pas inviter le Maroc à la réunion tripartite. Un diplomate algérien a expliqué : « Nous ne pouvons pas rester prisonniers du Maroc. Le nouveau groupement de l’Algérie, de la Tunisie et de la Libye n’est pas une nouvelle organisation, mais un arrangement trilatéral pour ramener la paix en Libye, pour parler de commerce, etc.

B.Tensions à l’UA
Les batailles diplomatiques algéro-marocaines ont été particulièrement intenses au sein de l’UA. Depuis son adhésion à l’organisation en 2017, le Maroc s’est efforcé d’empêcher celle-ci d’intervenir sur la question du Sahara occidental et de retirer la République arabe sahraouie démocratique de ses listes de membres. (L’État de facto du Polisario a rejoint l’OUA – l’organisation qui a précédé l’UA – en 1982, ce qui a poussé le Maroc à quitter le pays en signe de protestation deux ans plus tard.) En janvier 2023, le Maroc a réuni plusieurs anciens premiers ministres et responsables gouvernementaux africains à Tanger, où ils ont signé un document appelant à l’expulsion de la République. L’Algérie a répliqué en poussant le Conseil de paix et de sécurité de l’UA à s’impliquer activement dans le dossier du Sahara occidental. Cependant, il a largement échoué, car la question a presque entièrement disparu de l’ordre du jour de l’UA.

Ces tensions ont parfois sapé le fonctionnement normal de l’UA. Fin 2023, l’Algérie et le Maroc ont chacun décidé de se présenter à la présidence tournante de l’UA, qui est attribuée à un bloc sous-régional différent chaque année et devait revenir à un pays d’Afrique du Nord. Une impasse s’ensuit, ni l’Algérie ni le Maroc n’étant prêts à céder à l’autre. Finalement, l’UA a choisi la Mauritanie pour ce poste, évitant ainsi de justesse une impasse institutionnelle potentiellement paralysante.
Bien que de telles luttes intestines n’aient guère paralysé l’UA, elles ont eu des effets négatifs. Cela a rendu l’organisation réticente à s’impliquer dans la diplomatie du Sahara occidental, car on peut supposer que les manœuvres algéro-marocaines pour influencer un médiateur de l’UA seraient encore plus intenses. Il a également perturbé les opérations internes de l’UA, comme lorsque l’Algérie, le Maroc et la République arabe sahraouie démocratique ont présenté des candidats à des postes clés de l’UA en février 2023, suscitant une opposition farouche de la part d’un ou plusieurs des autres. Un moyen de minimiser ces perturbations pourrait être que les pays neutres d’Afrique du Nord, tels que l’Égypte et la Mauritanie, aident à négocier un arrangement pour laisser le conflit en dehors de l’UA ou nomment des candidats de compromis pour les postes de l’UA.

      • V. Facteurs de risque et recommandations

Un. Le risque d’escalade régionale
Malgré les tensions diplomatiques et militaires, l’Algérie et le Maroc ont jusqu’à présent réussi à éviter une confrontation militaire directe. Lorsqu’Alger a rompu ses relations avec Rabat en 2021, on ne savait pas immédiatement ce qui allait se passer. Bien qu’aucun des deux camps ne veuille la guerre, tous deux se sont livrés à une rhétorique incendiaire qui, associée à l’absence de canaux de communication, a ouvert la voie à l’escalade. La reprise du conflit au Sahara occidental a également menacé périodiquement d’amener l’Algérie et le Maroc à en prendre d’autres. Trois ans après la rupture diplomatique, la situation s’est apaisée. Les deux partis semblent être devenus meilleurs pour résoudre les malentendus, en partie grâce aux interventions opportunes de l’administration Biden.

Maroc : salariés et chômeurs protestent contre des réformes antisociales

Pourtant, des incidents militaires sporadiques continuent de menacer le statu quo précaire. Si le différend va au-delà du désaccord sur le Sahara occidental, c’est sur ce théâtre que le danger est le plus grand. Les deux pays auraient pu entrer en conflit à la suite de trois incidents : le meurtre des chauffeurs routiers algériens au Sahara occidental, qui aurait été commis par l’armée marocaine, en novembre 2021 ; le retrait de la MINURSO de la zone tampon en 2022 ; et la mort d’un civil marocain dans un attentat à la bombe du Polisario à Smara en octobre 2023. Dans tous ces cas, la situation a été désamorcée grâce à un mélange de retenue mutuelle et d’intercession diplomatique extérieure.
Chacun de ces épisodes a révélé quelque chose sur les lignes rouges respectives des deux pays. Lorsque le Maroc aurait tué des civils algériens au Sahara occidental, l’Algérie a menacé de représailles. Ensuite, le Polisario a tué un civil marocain à Smara, Rabat promettant des représailles. Ni l’un ni l’autre n’a donné suite, mais l’autre partie a compris le risque implicite d’escalade et a soigneusement évité des actions provocatrices similaires par la suite. De même, lorsque la MINURSO a menacé de se retirer, ce qui aurait pu conduire les troupes marocaines à prendre le contrôle de la zone tampon, se heurtant aux forces algériennes le long de la frontière, il y a eu un effort concerté de désescalade, suivi d’un engagement tacite à éviter un scénario similaire à l’avenir. Bien que le cessez-le-feu de 1991 soit terminé, Rabat et Alger veulent que certains de leurs arrangements survivent, en particulier que la MINURSO surveille la zone tampon. (Le Maroc a maintenu ses troupes hors de la zone depuis l’incident de la route de Guerguerat, bien qu’il occupe maintenant la zone où l’affrontement s’est produit.) Tant que la guerre d’usure au Sahara occidental reste dans ces limites, le risque d’un conflit plus large semble gérable.
Si ces règles du jeu émergentes (qui, à certains égards, reflètent les obligations des parties en matière de droit international humanitaire) ont réduit les risques, quatre facteurs pourraient encore plonger la région dans l’embrasement. Tout d’abord, les jeunes militants sahraouis, de plus en plus mécontents de la stratégie de guerre d’usure du Polisario, appellent à une forte escalade. Cette pression risque de rester élevée, à mesure que les jeunes fonctionnaires de niveau intermédiaire gravissent les échelons et deviennent plus influents dans la prise de décision. L’évolution de ce débat interne pourrait avoir une grande importance pour la stabilité régionale, en particulier si le Front devait une fois de plus menacer les opérations de réapprovisionnement de la MINURSO ou frapper une ville du Sahara occidental contrôlée par le Maroc.
Deuxièmement, la course aux armements entre l’Algérie et le Maroc pourrait offrir un avantage temporaire ou renforcer la perception de la menace, poussant un voisin à infliger des dommages à l’autre. Alors que l’armée algérienne reste globalement supérieure à l’armée marocaine, ce dernier a acquis des équipements des États-Unis et d’Israël qui pourraient faire pencher la balance des forces en sa faveur dans une hypothétique guerre. Si l’une ou l’autre des parties pense que l’équilibre a changé pour de bon ou tente d’anticiper un changement, elle pourrait décider de frapper dans l’espoir de gagner un conflit limité dans le temps et dans sa portée. Bien que ce risque soit modeste, les deux parties s’en inquiètent. Un analyste marocain a déclaré que le Maroc se préparait à l’éventualité d’un conflit armé, tandis qu’un chercheur algérien pensait que « le risque d’une escalade menant à la guerre est là ».
L’administration Biden a réussi à calmer les esprits en renouant avec tous les partis.
Le troisième facteur est l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis pour la deuxième fois. Au cours de son premier mandat (2017-2020), son administration a attisé les tensions régionales – et sans doute exacerbé la perception de la menace pour l’Algérie – en reconnaissant la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental et en soutenant le Maroc dans la normalisation de ses relations diplomatiques avec Israël.

L’administration Biden a réussi à calmer les esprits en renouant avec tous les partis.

La prochaine administration pourrait à nouveau jouer un rôle perturbateur, bien que l’on ne sache pas encore quels sont les plans (le cas échéant) de l’équipe de Trump pour l’Afrique du Nord. S’il choisit de soutenir plus ouvertement le Maroc contre l’Algérie ou s’il travaille par l’intermédiaire de l’ONU pour mettre fin à la MINURSO, il pourrait provoquer davantage de frictions dans la région. Mais même s’il opte pour une approche non interventionniste, le statu quo entre les deux pays pourrait encore devenir plus fragile, car aucun acteur extérieur ne s’efforcera de le consolider.
Enfin, la diffusion croissante de la désinformation et des discours de haine en ligne en Algérie et au Maroc propage des récits dangereux au sein de la population qui pourraient s’infiltrer dans le gouvernement à différents niveaux. Bien que les dirigeants des deux pays aient fait preuve d’une retenue louable dans la gestion d’incidents qui auraient pu s’aggraver autrement, ils ont également contribué à attiser la mauvaise volonté dans les médias traditionnels et sociaux. Si cette tendance se maintient, les deux États pourraient trouver de plus en plus difficile de gérer les incidents au Sahara occidental ou ailleurs, car la pression du public et des agences gouvernementales pourrait les pousser à prendre des mesures risquées.
Malgré ces facteurs, le risque global de conflit ouvert reste globalement faible, notamment parce que les parties et les acteurs extérieurs ont une idée des enjeux. L’impact sur les deux pays et leurs voisins serait certainement grave. Les Algériens et les Marocains vivant le long de la frontière, ainsi que la population réfugiée sahraouie, subiraient probablement des pertes considérables et des déplacements. En outre, la guerre pourrait menacer l’approvisionnement en pétrole et en gaz de l’Algérie vers l’Europe, réduire la capacité des deux pays à contrôler la migration irrégulière à travers la Méditerranée et même mettre en péril les navires marchands passant par le détroit de Gibraltar. Enfin, un conflit pourrait perturber le commerce avec les pays voisins, comme la Mauritanie et le Mali, ce qui ferait grimper les prix des produits de base.

B. Consolider le statu quo, passer à la réconciliation
L’équilibre en Afrique du Nord devrait être une priorité pour les partenaires extérieurs des deux pays, bien que les capitales occidentales soient peut-être les plus disposées à pousser dans cette direction. En soulignant l’importance des règles du jeu qui ont émergé aussi clairement que possible (et, le cas échéant, en notant leur convergence avec les obligations juridiques internationales), les États-Unis et les États européens pourraient minimiser le risque d’une confrontation militaire directe. Dans leurs messages privés et publics adressés à toutes les parties, ils devraient souligner la nécessité primordiale de protéger les civils au Sahara occidental et de sauvegarder les opérations de la MINURSO. Cela permettra d’éviter une spirale d’escalade.

Les gouvernements américain et européen devraient également chercher à s’attaquer aux facteurs qui mettent en danger le statu quo, à commencer par la course aux armements entre l’Algérie et le Maroc. Les partenaires occidentaux devraient s’assurer que leurs ventes d’équipements militaires ne modifient pas indûment l’équilibre des forces, en enrôlant des alliés comme Israël et la Turquie dans le même projet. Par exemple, Washington devrait examiner attentivement les transferts d’armes vers le Maroc qui pourraient augmenter considérablement la perception de la menace pour l’Algérie, tout en faisant pression sur Israël et la Turquie pour qu’ils ralentissent le rythme des ventes à Rabat et à Alger, respectivement. De même, les pays du Golfe, comme l’Arabie saoudite, pourraient demander à Moscou de calibrer ses ventes d’armes à l’Algérie pour éviter une escalade.
Les pays européens devraient également se préparer à jouer un rôle diplomatique de premier plan alors que Trump assume à nouveau la présidence. Si les États-Unis réaffirmaient la position de la première administration Trump sur la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, s’inclinaient plus clairement en faveur du Maroc ou mettaient fin à leur engagement avec les deux parties, les tensions entre l’Algérie et le Maroc pourraient s’intensifier. Les États européens devraient se préparer à compenser en jouant un rôle plus équilibré, en transmettant des messages apaisants aux deux parties et en se préparant à intervenir lorsque les incidents menacent de s’aggraver. Ils devraient intensifier leur engagement diplomatique avec les trois pays d’Algérie, du Maroc et du Front Polisario. Afin de réduire les pressions bilatérales de l’Algérie et du Maroc, et de délivrer un message cohérent, les capitales européennes pourraient également établir un groupe de contact ou un autre mécanisme de coordination composé de l’UE, de la France, de l’Espagne et d’autres grands États membres. Bien que ces efforts ne remplacent peut-être pas complètement le rôle de Washington dans la région, ils pourraient contribuer grandement au maintien du statu quo précaire.
Les acteurs extérieurs qui ont un intérêt dans la stabilité régionale devraient également aider à lutter contre la propagation des discours de haine et de la désinformation en ligne. Ils devraient faire pression sur les plateformes de médias sociaux, telles que Facebook, Instagram et X, pour intensifier la surveillance des messages suspects concernant ces pays et se tenir prêts à intervenir si le harcèlement, la désinformation et les discours de haine se multiplient, comme Facebook l’a fait lorsqu’il a suspendu les faux comptes marocains. Les plateformes devraient former leurs outils de modération de contenu alimentés par l’IA dans les dialectes locaux et renforcer les partenariats avec des vérificateurs de faits et des chercheurs locaux indépendants. La désactivation de ces campagnes en ligne pourrait contribuer de manière significative à contenir le risque d’escalade.

Les Etats européens devraient ... soutenir les efforts de l’envoyé de l’ONU pour relancer les négociations sur l’avenir du Sahara occidental.

Quelle que soit la position de la nouvelle administration américaine, les États européens devraient également soutenir les efforts de l’envoyé de l’ONU pour relancer les négociations sur l’avenir du Sahara occidental. De Mistura a fait des percées, mais il a eu du mal à persuader tous les acteurs de reprendre les pourparlers, principalement parce que Washington et les capitales européennes ont été réticents à faire pression sur le Maroc et le Polisario en raison du coût élevé et des représailles probables (pour les Européens) que toute forme de pression entraînerait. Les gouvernements européens devraient pousser le Maroc et le Front à faire des concessions réciproques qui pourraient renforcer la confiance nécessaire pour accepter une reprise des pourparlers et ouvrir la voie à de Mistura pour présenter un plan de dialogue viable. Ces concessions pourraient inclure la libération d’au moins certains des militants indépendantistes sahraouis emprisonnés au Maroc et un arrêt unilatéral des activités militaires du Polisario. Ces mesures pourraient donner à de Mistura l’occasion de présenter un plan de reprise des négociations et de demander aux deux parties d’élaborer leurs positions respectives.
Une fois que le statu quo sera consolidé et que les conditions seront réunies pour le dialogue, l’Algérie et le Maroc devraient viser à aller au-delà du rétablissement des relations diplomatiques. Tout d’abord, ils devraient rouvrir la frontière. Ils pourraient également ressusciter les initiatives de coopération des décennies passées, par exemple les comités sectoriels conjoints qui ont fait leurs preuves à la fin des années 1980, sous l’égide d’une commission de haut niveau. Travailler ensemble sur la sécurité des frontières, y compris la lutte contre la contrebande et le trafic de drogues, serait un bon point de départ. Un autre pas dans la bonne direction serait de relancer les discussions des années 1970 sur l’exploitation conjointe des ressources minérales et la coopération industrielle. Ces mesures pourraient jeter les bases d’une réconciliation plus large qui mettrait fin au cycle de la crise et de la détente, qui a menacé à plusieurs reprises de devenir incontrôlable.

      • VI. Conclusion

Les relations entre le Maroc et l’Algérie sont dans une période difficile. Depuis qu’Alger a suspendu ses relations avec Rabat en 2021, les parties ont connu un pic de tensions, qui ont été gérées grâce à la retenue mutuelle et à l’engagement diplomatique des États-Unis. Toutes les parties ont reconnu l’importance de protéger les civils et de laisser la MINURSO faire son travail. Pourtant, le risque d’une escalade accidentelle demeure, exacerbé par de nouveaux facteurs – des jeunes militants qui aimeraient voir un Polisario plus agressif à une course aux armements bilatérale en passant par l’activité sur les réseaux sociaux qui encourage la haine et la division des deux côtés de la frontière. Le retour imminent de Trump à la Maison Blanche soulève la question de savoir si les États-Unis continueront d’essayer de jouer un rôle tampon entre les deux pays ou s’ils soutiendront Rabat.
Dans ces circonstances, il pourrait bien incomber aux acteurs européens de prendre la tête de la diplomatie en s’efforçant de gérer les facteurs de risque qui rendent les conflits plus probables et en encourageant un retour à la table des négociations pour résoudre la situation au Sahara occidental. Des progrès dans ce domaine serviraient également à améliorer les relations de voisinage et à ouvrir la voie au dialogue entre Rabat et Alger. Lorsque les deux pays seront prêts, il sera important que les acteurs extérieurs – à commencer par les gouvernements européens qui bénéficieraient certainement d’une amélioration des relations – les encouragent à aller au-delà de la reprise des relations diplomatiques pour approfondir leur coopération. En travaillant ensemble sur des questions d’intérêt commun, les deux voisins pourraient contribuer à l’édification d’une Afrique du Nord plus stable et plus prospère, avec des répercussions positives à la fois pour le projet d’intégration régionale et pour la sécurité européenne.

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Voir en ligne : Algérie & Maroc

   
   

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