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Extraits de son livre autobigraphique : où L’INCARNATION DU RÊVE AMERICAIN
lundi 26 mai 2008, par
Commentaire de POPULISCOOP.
Cet extrait du livre permet d’avoir une idée de la personnalité de Barak Obama. Ses racines noires et d’autres choses.
Notre dossier sur les élections américaines de novembre 2008
Dans Les Rêves de mon père (éditions Presse de la Cité), qui paraît jeudi 20 mars en France, Barack Obama raconte l’histoire de sa famille et celle de son ascension. Jusqu’à la Maison-Blanche ?
La promesse du rêve américain
J’appris que mon père était africain, kényan, de la tribu des Luos, né sur les rives du lac Victoria dans une localité appelée Alego. Il gardait les chèvres de son père et fréquentait l’école construite par l’administration coloniale britannique, où il se révéla très doué. Il obtint une bourse pour aller étudier à Nairobi. C’est là que, à la veille de l’indépendance du Kenya, il fut sélectionné par des chefs kényans et des sponsors américains pour aller étudier dans une université américaine, rejoignant la première grande vague d’Africains envoyés à l’étranger pour y apprendre la technologie occidentale et la rapporter dans leur pays afin de forger une nouvelle Afrique moderne.
En 1959, à l’ ge de vingt-trois ans, il arriva à l’université de Hawaii. C’était le premier étudiant africain accueilli dans cette institution. […] À un cours de russe, il rencontra une jeune Américaine timide, modeste, gée seulement de dix-huit ans, et ils tombèrent amoureux. Les deux jeunes gens se marièrent et eurent un fils, auquel Barack transmit son prénom. Il obtint une nouvelle bourse, cette fois pour poursuivre son Ph.D., son doctorat, à Harvard, mais non les fonds nécessaires pour emmener sa nouvelle famille avec lui. Il y eut donc séparation, à la suite de laquelle il retourna en Afrique pour tenir sa promesse vis-à-vis du continent. Il laissa derrière lui sa femme et son enfant, mais le lien d’amour perdura malgré la distance… […]
Mon père ne ressemblait en rien aux gens qui m’entouraient, il était noir comme le goudron alors que ma mère était blanche comme le lait, mais cela me traversait à peine l’esprit.
De fait, je ne me souviens que d’une seule histoire traitant explicitement du problème racial. Cette histoire racontait qu’un soir, après avoir passé de longues heures à travailler, mon père avait rejoint mon grand-père et plusieurs autres amis dans un bar de Waikiki. L’ambiance était joyeuse, on mangeait et on buvait au son d’une guitare hawaïenne, lorsqu’un Blanc, à haute et intelligible voix, se plaignit tout à coup au propriétaire d’être obligé de boire du bon alcool « à côté d’un nègre ». Le silence s’installa dans la salle et les gens se tournèrent vers mon père, en s’attendant à une bagarre. Mais mon père se leva, se dirigea vers l’homme, lui sourit et entreprit de lui administrer un sermon sur la folie de l’intolérance, sur la promesse du rêve américain et sur la déclaration universelle des droits de l’homme.
« Quand Barack s’est tu, le gars s’est senti tellement mal à l’aise qu’il lui a filé aussi sec un billet de cent dollars, racontait Gramps. Ça nous a payé toutes nos consommations pour le reste de la soirée… et le loyer de ton père jusqu’à la fin du mois ! »
Il s’était fait passer pour un Blanc
Ma mère m’installa dans la bibliothèque pendant qu’elle retournait à son travail. Je finis mes bandes dessinées et les devoirs qu’elle m’avait fait apporter, puis je me levai pour aller fl ner à travers les rayons. Dans un coin, je découvris une collection de Life, tous soigneusement présentés dans des classeurs de plastique clair. Je parcourus les publicités accrocheuses et me sentis vaguement rassuré. Plus loin, je tombai sur une photo qui illustrait un article, et j’essayai de deviner le sujet avant de lire la légende. Une photo de petits Français qui couraient dans des rues pavées : c’était une scène joyeuse, un jeu de cache-cache après une journée de classe et de corvées, et leurs rires évoquaient la liberté. La photo d’une Japonaise tenant délicatement une petite fille nue dans une baignoire à peine remplie : ça, c’était triste. La petite fille était malade, ses jambes étaient tordues, sa tête tombait en arrière contre la poitrine de sa mère, la figure de la mère était crispée de chagrin, peut-être se faisait-elle des reproches…
Puis j’en arrivai à la photo d’un homme gé qui portait des lunettes noires et un imperméable. Il marchait le long d’une route déserte. Je ne parvins pas à deviner de quoi parlait cette photo ; le sujet n’avait rien d’extraordinaire. Sur la page suivante, il y en avait une autre : c’était un gros plan sur les mains du même homme. Elles montraient une étrange p leur, une p leur qui n’était pas naturelle, comme si la peau avait été vidée de son sang. Je retournai à la première photo, et je remarquai les cheveux crépus de l’homme, ses lèvres épaisses et larges, son nez charnu, et le tout avait cette même teinte irrégulière, spectrale.
Il est sans doute gravement malade, me dis-je. Victime d’une irradiation, peut-être, ou albinos. J’avais vu un albinos dans la rue quelques jours auparavant, et ma mère m’avait donné des explications. Mais lorsque je lus les mots qui accompagnaient la photo, je vis que ce n’était pas cela du tout. L’homme avait reçu un traitement chimique pour éclaircir sa peau, disait l’article. Il l’avait payé de ses propres deniers. Il disait regretter d’avoir essayé de se faire passer pour un Blanc, se désolait de la manière catastrophique dont l’expérience avait tourné. Mais les résultats étaient irréversibles. Il existait des milliers de gens comme lui en Amérique, des Noirs, hommes et femmes, qui s’étaient soumis au même traitement à la suite de publicités qui leur avaient promis le bonheur, une fois devenus blancs.
Je sentis la chaleur envahir mon visage et mon cou. Mon estomac se serra ; les caractères devinrent flous. Ma mère était-elle au courant ? Et son patron ? Pourquoi était-il si calme, à lire ses rapports, quelques mètres plus loin, au bout du couloir ? Je ressentis le besoin urgent de sauter à bas de mon siège, de leur montrer ce que je venais d’apprendre, de leur demander de m’expliquer, ou de me rassurer. Mais quelque chose me retint. Comme dans les rêves, j’étais privé de voix, incapable d’articuler les mots traduisant cette peur nouvelle pour moi.
Lorsque ma mère vint me chercher pour me ramener à la maison, mon visage était souriant, et les magazines avaient retrouvé leur place. La pièce, l’atmosphère étaient aussi tranquilles qu’avant.
Si tu veux devenir un être humain
Ma mère avait toujours favorisé mon intégration rapide dans la culture indonésienne (Sa mère et son second mari se sont installés à Djakarta en 1968, NDLR). Cela m’avait appris à devenir relativement autonome, à ne pas me montrer exigeant quand le budget était serré. J’étais extrêmement bien élevé comparé aux autres enfants américains, et gr ce à son éducation je considérais avec dédain le mélange d’ignorance et d’arrogance qui caractérise trop souvent les Américains à l’étranger. Dès le début, elle avait concentré ses efforts sur mon instruction. N’ayant pas les revenus nécessaires pour m’envoyer à l’école internationale que fréquentait la majorité des enfants étrangers de Djakarta, elle s’était arrangée dès notre arrivée pour compléter ma scolarité par des cours par correspondance envoyés des États-Unis.
Désormais, elle redoublait d’efforts. Cinq jours par semaine, elle venait dans ma chambre à quatre heures du matin, me forçait à prendre un petit déjeuner copieux, puis me faisait travailler mon anglais pendant trois heures, avant mon départ pour l’école et le sien pour son travail. J’opposais une rude résistance à ce régime, mais à toutes mes stratégies, les moins convaincantes (« J’ai mal à l’estomac ») comme les plus véridiques (mes yeux se fermaient toutes les cinq minutes), elle exposait patiemment sa défense :
« Et moi, mon petit gars, tu crois que ça m’amuse ? »[…]
Si tu veux devenir un être humain, me disait-elle, il te faudra avoir certaines valeurs. L’honnêteté : Lolo n’aurait pas dû cacher le réfrigérateur dans la remise quand les inspecteurs des impôts sont venus, même si tout le monde, les inspecteurs y compris, s’attendait à cela. La justice : les parents des élèves plus riches ne devraient pas offrir des postes de télévision aux professeurs pendant le ramadan, et leurs enfants n’ont pas à être fiers des bonnes notes qu’ils reçoivent en remerciement. La franchise : si la chemise que je t’ai offerte pour ton anniversaire ne t’a pas plu, tu aurais dû le dire au lieu de la garder roulée en boule au fond de ton placard. L’indépendance de jugement : ce n’est pas parce que les autres enfants se moquent d’un pauvre garçon à cause de sa coupe de cheveux que tu dois faire la même chose.
Elle n’avait qu’un seul allié en tout cela, c’était l’autorité lointaine de mon père. De plus en plus souvent, elle me rappelait son histoire, son enfance pauvre, dans un pays pauvre, dans un continent pauvre ; la dureté de sa vie. J’allais suivre son exemple, ainsi en décida ma mère. Je n’avais pas le choix. C’était dans les gènes.
Vous devez être en colère quelque part
En 1983, je décidai de devenir organisateur de communautés.
Quand mes amis, à l’université, me demandaient quel était le rôle d’un organisateur de communautés, je n’étais pas capable de leur répondre directement : je discourais sur la nécessité du changement. Du changement à la Maison-Blanche, où Reagan et ses sous-fifres se livraient à leur sale besogne. Du changement au Congrès, qui était complaisant et corrompu. Du changement dans l’état d’esprit du pays, obsessionnel et centré sur lui-même. Le changement ne viendra pas d’en haut, disais-je. Le changement ne viendra que de la base, c’est pourquoi il faut la mobiliser.
Voilà ce que je vais faire. Je vais travailler à organiser les Noirs. La base. Pour le changement.
Et mes amis, blancs et noirs, me félicitaient chaudement de mon idéal, avant de mettre le cap sur le bureau de poste pour envoyer leurs demandes d’admission dans les grandes écoles. […]
Finalement, une société de conseil financier pour multinationales accepta de m’embaucher comme assistant de recherche. J’arrivais tous les jours dans mon bureau au cœur de Manhattan. J’étais le seul homme noir de la société. Ike, l’agent de sécurité noir bourru qui officiait dans le hall, n’y alla pas par quatre chemins et me dit tout net que je commettais une erreur.
« Organisateur ? C’est un genre de politique, c’est ça ? Pourquoi vous voulez faire un truc comme ça ? » J’essayai de lui expliquer mes idées politiques, combien il était important de mobiliser les pauvres et de redistribuer les richesses à la communauté. Il secoua la tête.
« Monsieur Barack, me dit-il, j’espère que vous ne le prendrez pas mal si je vous donne un petit conseil. Oubliez ces histoires d’organisation et faites quelque chose qui pourra vous rapporter du blé. » […]
J’avais pratiquement renoncé à devenir organisateur lorsque je reçus un appel d’un certain Marty Kaufman. Celui-ci m’expliqua qu’il avait monté une organisation à Chicago et qu’il souhaitait engager un stagiaire. Son aspect ne m’inspira pas grande confiance. Un Blanc grassouillet, de taille moyenne, portant un costume fripé. Son visage était mangé par une barbe de trois jours ; derrière d’épaisses lunettes cerclées de fer, ses yeux restaient plissés en permanence. Quand il se leva pour me serrer la main, il renversa un peu de thé sur sa chemise.
« Eh bien, dit-il en épongeant la tache avec une serviette en papier, pourquoi veut-on devenir organisateur quand on vient de Hawaii ? »
Je m’assis et lui parlai un peu de moi.
« Hum, fit-il en hochant la tête, tout en prenant quelques notes sur un calepin. Vous devez être en colère, quelque part.
Que voulez-vous dire ?
Il haussa les épaules.
Je ne sais pas exactement. Mais il y a sûrement quelque chose. Ne le prenez pas mal : la colère, c’est obligatoire pour faire ce boulot. C’est la seule raison qui pousse quelqu’un à s’engager là-dedans. Les gens bien dans leur peau trouvent un boulot plus calme. »
La meilleure part de notre histoire
J’entrai à la Harvard Law School, où je passai la plus grande partie de mon temps, durant trois années, dans des bibliothèques faiblement éclairées, plongé dans les études de cas et les textes de lois. Les études de droit peuvent être parfois décevantes, car il s’agit d’apprendre à appliquer des règles rigides et des procédures obscures à une réalité qui n’est pas. Mais le droit n’est pas que cela. Le droit est aussi la mémoire ; le droit note aussi le déroulement d’une longue conversation, celle d’une nation qui discute avec sa conscience.
« Nous tenons ces vérités pour évidentes par elles-mêmes… »
Dans ces mots, j’entends l’esprit de Douglass et de Delany, celui de Jefferson et de Lincoln, les luttes de Martin et de Malcolm et de ceux qui manifestèrent pour que ces mots deviennent réalité. J’entends les voix des familles japonaises enfermées derrière des barbelés, des jeunes Juifs russes exploités dans les fabriques de confection du Lower East Side de Chicago, des fermiers anéantis par la sécheresse qui chargent sur leurs camions ce qui reste de leurs vies brisées. J’entends les voix des habitants des Altgeld Gardens, et les voix de ceux qui restent de l’autre côté des frontières de ce pays, les cohortes affaiblies, affamées, qui traversent le Rio Grande. J’entends toutes ces voix réclamer la reconnaissance, et toutes elles posent exactement les questions qui en sont venues à déterminer ma vie, les questions que parfois, tard dans la nuit, je me surprends à poser au Vieil Homme. Quelle est notre communauté, et comment cette communauté peut-elle être conciliée avec notre liberté ? Jusqu’où vont nos obligations ? Comment transformons-nous un pur pouvoir en justice, un simple sentiment en amour ? À mon retour à Chicago, je découvris une accélération des signes de détérioration dans tout le South Side : les quartiers étaient devenus plus délabrés, les enfants plus agressifs, les familles moyennes déménageaient de plus en plus dans les banlieues, les prisons étaient remplies à craquer de jeunes à l’œil sombre, mes frères sans perspectives.
J’essaie d’apporter ma modeste participation au renversement de cette tendance. Dans mon cabinet d’avocat, je travaille principalement avec des églises et des groupes communautaires, des hommes et des femmes qui construisent tranquillement des épiceries et des cliniques dans les quartiers déshérités, et des logements pour les pauvres. De temps en temps, je travaille sur une affaire de discrimination, pour défendre des clients qui viennent dans mon cabinet avec des histoires dont nous aimons nous dire qu’elles ne devraient plus exister. La plupart de ces clients sont un peu embarrassés de ce qui leur arrive, tout comme les collègues blancs qui acceptent de témoigner en leur faveur ; car personne n’a envie de passer pour quelqu’un qui sème la zizanie. Et pourtant, il arrive un moment où les plaignants aussi bien que les témoins se disent que c’est une question de principe, que malgré tout ce qui s’est passé, ces mots posés sur le papier il y a deux cents ans ont sûrement une importance. Noirs et Blancs, ils se réclament de cette communauté que nous appelons l’Amérique. Ils choisissent la meilleure partie de notre histoire.
© Barack Obama, 1995, 2004.
© Presses de la Cité 2008.
Voir en ligne : Traduction au français, texte format PDF, du discours du 18 juin 2008 de Barak Obama.
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