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Histoire de la musique Raï, une thèse plausible.

Une musique algérienne, moderne née avec le XXème siècle.

jeudi 5 avril 2007, par Djamel Damien Boucheref

Aucune musique arabe ou maghrébine n’a pu aller au-delà et aussi loin, des confins de son bercail, comme le Raï. Pour tant de propagation dans le monde, certains critiques ou observateurs le comparent, sine qua non, au reggae. Des refrains nés dans le ghetto de pays dont l’émergence post-coloniale reste à faire.

Il faut déceler que ces deux genres ont eu des parcours similaires. Après avoir vu le monde dans des pays sous-développés et ont été bâtis à partir de patrimoines locaux, leur succès détale à travers les continents de la Terre. Seules leurs langues diffèrent. La musique qui a distingué le King Bob Marley a le privilège de se chanter en anglais. Le raï, avec sa disponibilité à intégrer, mixer et brasser tous rythmes rencontrés, est fait avec sa langue toute particulière. Celle de la rue dont la richesse poétique a pour source l’oralité qui ne rechigne pas à emprunter des passages entiers des autres langues en suivant le parlé de la rue d’Afrique du Nord.

Depuis plus de décennies déjà, l’audimat, quelques canaux de diffusion et le milieu artistique français qui lui ont permis, chacun selon, une percée innovante. La dernière en date s’est réalisée avec la langue de Victor Hugo et s’appelle « Aïcha. » Chose que pratiquaient les premiers chanteurs et dramaturges populaires de l’Algérie surtout. Les paroliers qui ont le plus utilisés des mots de la langue française, sont ceux du raï classique et contemporain.

Dans le dictionnaire Larousse de 1998, pour la première fois, s’est instaurée une admission dans le vocabulaire et une signification est fixée au mot Raï : « Genre de musique et de littérature moderne de l’Ouest algérien, ouvert sur les autres styles... » A se poser la question, si c’est vraiment une littérature ? Nous dirons surtout ses détracteurs. Que non ! Vous diront tous ceux qui ne le tiennent pas d’une odeur de sainteté. Pourtant la poésie du raï n’a pas d’égal dans la métaphore et la sincérité de ses propos et significations. Tel, le Rap c’est un verbe qui sort des tripes des jeunes qu’on considère pour des laissés pour compte et des désœuvrés.

1ère période : « Les Cheikhs » L’avènement du raï

La naissance du raï date du début du siècle clôturant le millénaire qui s’est éteint. Après et pendant la 1ére guerre mondiale, la misère s’est installée comme un vide austère. La crise de 1929 avait longtemps rodé et les stigmates de la guerre sont de profondes plaies et des cicatrices tranchantes. Le « Melhoun »(1) qui était le seul bédouin festif avec lequel s’animaient les soirées et les fêtes auparavant, avait subi un frein. En l’absence de l’opulence qui permettait les méchouis et les nuits où le vin coulait à flots que cette poésie lyrique animait ; l’extinction d’une mode et l’apparition de nouveaux contextes et perspectives historiques, le « Melhoun » séculaire est devenu obsolète.

Les servants de ces « Rave-parties » regroupant, au début les princes des anciennes bourgeoisies berbères, arabes et ottomans, rejoints par les colons, ont été les premiers fondateurs du rai. Des noctambules d’origines européennes et autochtones tenaient de longues soirées sous forme de beuveries ans les grandes propriétés foncières. Les employés sont allés renforcer les ghettos qui se formaient dans les parages des villes, rejoignant les déracinés qui ont perdu leurs terres. Certains sont devenus bergers de maigres troupeaux, préservant leur liberté par le nomadisme. De leurs écoutes des « Cheikhs » du « Melhoun », ils commencèrent à les imiter reprenant quelques vers de la pompeuse poésie du « Melhoun ». Ils adoptèrent une rythmique plus accélérée, moins mélodieuse gr ce à des instruments semblables à ceux de leurs maîtres mais aux sons, aux formes et à la manipulation plus légère : « le Nay »(2) et le « Galal »(3). Certainement créés pour la commodité de leurs transferts et sont devenus de prédilection à la suite de raffinements.

Ils ont d’abord été invités à animer des soirées dans les bordels ouverts pour assouvir les besoins sexuels de la soldatesque colonialiste, dont les contingents de célibataires et légionnaires. Et c’est dans ces lieux de perversion qu’ils ont été baptisés aussi les premiers chanteurs du raï en « cheikhs » tels qu’étaient désignés leurs prédécesseurs du Melhoun. C’est la raison du lieu de l’apparition du raï que la mauvaise réputation lui reste une ombre fatale. C’est à dire depuis, on lui enjoint une vulgarité qui l’ait toujours casé dans la précarité et le refoulement.
Cependant du côté instrumental l’accordéon, le violon, la clarinette, la trompette et d’autres encore ont fait leur percée, dans le patrimoine musical du Maghreb.
Comme la venue du raï est incontestablement parvenue à partir du Melhoun, une nouvelle forme du texte le différencie nettement. Sa poésie est élaborée d’une autre manière plus écourtée et déstructurée, glanée d’un passé en partance. La trame générale de son poème s’est mobilisée à exprimer une subversion par rapport aux tabous qui ne plaisent pas aux catégories sociales conservatrices plus attachées à la musique arabo-andalouse que le cha bi de Dahman ou El-Anka. Le raï a vécu une longue période en marge, telle une sous-culture, des circuits officiels et des cadres culturels établis dans la société et les rouages qui la dirigent

2éme période : Les chikhate, La grande mue.

A partir de ces bordels se sont révélées les premières voix féminines qui ont été invitées à être d’abord les chœurs puis elles ont fait le pas radieux de chanter. L’époque des « Chikhate », la deuxième étape, était venue après environ la décennie préliminaire. Elle reste une transition des plus enrichissantes puisque avec le Melhoun, il n’était pas ainsi.

L’absence des chanteuses était quasi totale. Et elles ont marqué à jamais le genre en donnant un travail vocal jouissif, mielleux et suave. Un autre style qualitativement supérieur, par rapport aux genres locaux, duquel le raï ne peut désormais s’en passer, insuffla une flamme de bonheur que seule la culture berbère avait souvent entretenue.

Il faut préciser que cela n’a pas seulement réhabilité ces femmes chanteuses, mais aussi réconforta davantage la mauvaise renommée. Déjà une farouche intolérance de la société traditionnelle, n’arrêtait de l’isoler, elle perdura sans manquer d’argumentaire.

Mais c’est aussi gr ce à ses Chikhate que le raï est sortie dans la rue. D’abord commandé par les cabarets où se pratiquait la fameuse danse érotique du ventre, puis les bars et enfin les festins qui s’organisent dans les bas-fonds. L’attirance qu’a eu les voix féminines a rendu populaires beaucoup d’entre elles et en aménagea les premiers enregistrements sur les supports de vinyle noir. Les Cheikhs demeuraient nonobstant, à chanter avec beaucoup de prépondérance.

3éme période : Les Chebs, la Modernisation.

L’étape des Chebs (Jeunes) est due principalement à un trompettiste incontournable actuellement dans le monde du raï. Dès les débuts des années 70, Bellemou jouait de son cuivre dans les gradins des stades de football d’Oran. Parmi les supporters des deux clubs : MCO et USMO, résonnaient anonymement, chaque dimanche, des sons plus affiliés à l’Ouest algérien, et dignes de représenter tout le pays sur le plan musical. Vite interceptées comme une valeur bien populaire, elles attendaient depuis des lustres de la considération.

Un autre homme de haute culture très respectueuse des terroirs et parolier du raï, était directeur de la station régionale de l’ex. RTA et n’a pas été indifférent au travail de Bellemou dans la foule. Il l’invita à la télévision et réalisa avec lui deux chansons qui ont eu le succès, certes inattendu, mais déjà décelé ayant de l’emprise sur l’écoute de la jeunesse. Saïm El Hadj à qui est due la première prise en charge du raï moderne, était parolier émérite de la chanson populaire. A l’époque le ministre algérien de la culture n’a pas pardonné à ce dernier d’avoir fait cette première approche du raï et l’est écarté de l’institution pour, dit-on, ce motif.

Des chebs se sont depuis mis à un travail d’universalisation. Ils étaient au parfum de la mauvaise considération donnée à leur musique, ce qui les a poussés à des améliorations de grande envergure et de bonne facture pour s’imposer. Ils montrèrent la même subversion que leurs aïeuls, en l’enrobant d’une esthétique dite de chansonnette. Et ce qui leur a fait de l’attrait auprès des jeunes, outre l’expression de la révolte par rapport aux mœurs, est l’esprit ludique, surtout de discothèque. Ils confectionnèrent de leurs propres moyens des sons musicaux et une poésie dont le romantisme reflète leurs frustrations sentimentales, leurs plaies profondes.

C’est en France aussi que se réfugièrent quelques grands noms du raï pour trouver des conditions de travail très attractives et les moyens techniques adéquats à une modernisation plus poussée. Ils pointèrent dans ce pays où les forces progressistes et de gauche sont de réels militants des cultures diversifiées et non réticentes à l’exotisme, à une époque où la chanson française connaît un reflux devant l’assaut de l’américanisation se fait entendre dans tous les domaines. Des réactions négatives ont tenté de boycotter le raï mais la nécessité a dépassé les entraves. C’était la chance d’en faire des stars et d’assurer une très large diffusion.

(1) Poésie populaire du Maghrèbe.
(2) Petite flûte, en roseau, très mince.
(3) Instrument de percussion, cylindrique, à peau tendue sur un tube de bois creusé.

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